Dépassement de compétences réglementaires

Une aide-soignante employée d’une maternité accepte de réaliser des tests de Guthrie. Malheureusement, quelques jours après sa sortie, de l’établissement un des enfants présente une infection grave à staphylocoque doré. Agissant au nom de leur enfant, les parents assignent la clinique et son assureur. Un premier rapport d’expertise conclut à un lien pathogénique entre l’infection et la scarification du talon droit. Par la suite, un jugement du Tribunal de grande instance du 11 mai 1999, condamne la clinique et son assureur à verser 100.000 francs (15245 €) de provision aux demandeurs et ordonne un complément d’expertise. Interjetant appel de ce jugement, la clinique conteste l’origine nosocomiale d'une infection apparue après la sortie de l’enfant et s’oppose à la déchéance de garantie alors soulevée par son assureur en raison de la non habilitation réglementaire de l’aide-soignante à pratiquer seule l’acte litigieux.

L’arrêt de la Cour d’appel rendu le 24 septembre 2002 infirme alors le jugement. La Cour estime que comme l’expert n’a pas pu dater l’origine de l’infection et donc préciser si elle se situe dans l’acte pratiqué à la clinique ou dans un défaut de soins locaux postérieurs à la sortie de la clinique, les parents ne rapportent pas la preuve du caractère nosocomial de l’infection.

Par ailleurs, relevant que l’expert, dans son deuxième rapport, a mis en évidence deux versions contradictoires relatives à la réalisation du test, la Cour décide également de faire profiter le doute à la clinique.

En effet, d’un coté, la mère de l’enfant avait déclaré à l’expert avoir assisté à cinq tests de Guthrie réalisés par l’aide-soignante à d’autres nouveaux nés (avant de sortir pour ne pas entendre les pleurs de sa fille au moment de son propre test) et qu’elle était ainsi en mesure d’affirmer que l’aide-soignante a certes bien désinfecté avant scarification mais n'a pas désinfecté à nouveau après scarification.

D'un autre coté, l’aide-soignante contestait énergiquement cette version, si bien que l’expert à la demande de la clinique avait recherché le devenir des cinq nouveaux-nés testés. Les attestations des pédiatres présentées pour quatre d’entre eux (le 5ème n’a pu être retrouvé) démontraient une absence d’épisode infectieux à la suite de ces tests.

En outre, le directeur de l’établissement, pour achever de contrecarrer les dires de la mère, contestait devant l’expert que l’aide-soignante ait pu effectuer seule ce test, dès lors que, selon lui, l’aide soignante avait été placée sous la surveillance d’une sage-femme.

Saisie sur pourvoi des parents, la Cour de Cassation réunie en formation solennelle, casse par un arrêt du 25 octobre 2004 la décision d’appel au motif "qu’une clinique est présumée responsable d’une infection contractée par un patient lors d’une intervention pratiquée en son sein, à moins de prouver l’absence de faute de sa part". Ainsi il n’appartient aux parents que de rapporter la preuve de l’origine nosocomiale de l’infection de leur bébé sans que leur incombe également la preuve d’une faute d’asepsie.

C’est alors que, poursuivant encore plus loin son raisonnement, la Cour de Cassation affirme : "qu’en tout état de cause, dès lors que le test de Guthrie à l’origine de l’infection a été pratiqué par une aide-soignante non qualifiée pour effectuer un tel acte médical, la faute commise est en relation causale avec le préjudice subi".

Selon les magistrats, peu importe donc de savoir si une aide soignante qui effectue un acte médical excédant sa compétence réglementaire a ou non respecté l’obligation de moyens qui s’imposerait, pour pareil acte, à un personnel qualifié ; le seul fait que cet acte cause un dommage suffit à engager la responsabilité de l’établissement (sans autre considération que celle du dépassement de compétence).

Cette décision peut, d'un côté, paraître sévère et contraire à la règle selon laquelle un professionnel de santé est normalement tenu à une obligation de moyens et non de résultat mais, d'un autre sens, elle est conforme à une règle jurisprudentielle qui exige que tout professionnel de santé délivre à son patient des soins qui soient "consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science".

Ainsi, dans le cas présent, les soins auront peut-être été attentifs et conformes aux données acquises de la science -nul ne le saura- mais en tout cas, au sens de la Cour de Cassation, contraires à la conscience professionnelle qui exige, que par prudence vis à vis de son patient, l'on ne dépasse pas les limites de sa compétence.

Il n'en demeure pas moins que la Cour de Cassation présume que c'est cette imprudence de l'aide-soignante qui est la cause de l'infection de l'enfant, alors que rien ne permet d'établir ce rapport de cause à effet.