Après avoir pratiqué la pédiatrie en cabinet pendant 30 ans, Gilles Valleur exerce depuis dix ans l’expertise médico-légale en matière de responsabilité civile des praticiens ou des établissements de santé. À travers les questions suivantes, il témoigne de l’impact de la crise sanitaire sur son activité.
C’est bien simple : pendant les deux mois du confinement, l’expertise médicale a été réduite à zéro. J’ai donc totalement interrompu mon activité.
Dans le courant de la 3e semaine de mai, j’ai repris le travail en participant à ma première réunion d’expertise à Marseille, la première depuis fin mars. La prochaine doit avoir lieu le 10 juin. En juin, seules trois réunions sont prévues contre une moyenne habituelle de huit réunions par mois.
Ce nombre limité de réunions découle des conditions requises pour leur tenue. La mise en œuvre des mesures de précaution et de distanciation nécessite désormais de les organiser dans des locaux très aérés et spacieux, ce qui n’est pas le cas de la majorité des espaces que nous utilisons en temps normal, d’autant que nombre de ces réunions se déroulent en présence de 12 à 15 personnes
Dans la pratique de l’expertise, les mesures mises en place en cette période de déconfinement présentent certaines difficultés. Ainsi, il n’est pas facile de se faire entendre lorsque l’on parle avec un masque devant une assemblée d’une quinzaine de personnes.
Le masque empêche également d’apprécier correctement l’expression du visage. Or, c’est un aspect très important dans les expertises où il est nécessaire de pouvoir ressentir l’état d’esprit des participants pendant les réunions.
Maintenir la distance demandée d’un mètre est tout simplement impossible dans la majorité des cabinets d’expertise avec lesquels nous travaillons et qui disposent de locaux trop petits, et qui ne sont pas donc utilisables compte tenu des mesures actuelles.
La crise sanitaire a bousculé les pratiques professionnelles : télémédecine, gestion des rendez-vous, accueil des patients, aménagement du cabinet et de la salle d’attente, examen clinique… |
La pratique de la visioconférence pour les réunions d’expertise permet de résoudre le problème que pose le masque dans les réunions en présentiel. Cependant, les participants n’apparaissent pas tous en même temps à l’écran, par conséquent, on perd l’expression corporelle et les réactions de certains d’entre eux. Il nous est également impossible de discuter en aparté avec les autres conseils. Cela pose un problème en termes de stratégie et pourrait amoindrir le droit de la défense.
La visioconférence présente néanmoins des avantages en ce qu’elle fait gagner du temps de déplacement. À terme, elle peut constituer une solution avantageuse d’un point de vue financier en permettant d’assurer davantage d’expertises, et cela coûterait moins cher aux assurances qui n’auraient plus à assumer de frais de déplacement. Ce précédent pourrait donc être tentant, mais il me semble qu’en l’absence de progrès technique et de confidentialité des systèmes de visioconférences, celles-ci doivent rester minoritaires et ne peuvent se tenir que pour des cas d’expertise simples, ou ne comportant pas d’examen clinique.
Du fait des règles de distanciation, les experts sont tentés de limiter le nombre de représentants pour chaque partie. C’est ainsi qu’un hôpital se trouve représenté par un seul intervenant et un seul médecin conseil. Une fois encore, cela tend à limiter le droit de la défense.
Par ailleurs, le confinement pourrait avoir un impact sur le nombredes expertises à plus long terme, compte tenu de l’augmentation du nombre de téléconsultations ayant eu lieu à cette période : il se peut donc que des médecins soient mis en cause dans le cadre de ces consultations à distance. Pour l’instant, nous n’avons pas l’expérience de tels cas de figure. S’ils devaient se présenter, il faudrait que la possibilité de telles téléconsultations soit légalement encadrée et reposent sur les règles édictées par l’Ordre ou établies par la législation.
En cette période de reprise de l’activité, je conseillerais à mes confrères de recourir de façon modérée à la télémédecine qui ne doit pas devenir la règle pour l’instant.
De même, il convient de veiller à ce que les mesures de distanciation, de précaution et d’hygiène édictées soient bien respectées dans leur pratique.
Plus généralement et concernant les consultations en cabinet, pour la pédiatrie notamment, il paraît souhaitable d’établir des horaires spécifiques de consultations pour les patients COVID et non-COVID.