Dr Nicolas Tabary
Le 14.12.2020
À 09:40
Propos recueillis par Bruno Frattini, Cadre supérieur de santé, expert en gestion des risques et Germain Decroix, Juriste MACSF
Lors de la première vague, notre Groupement Hospitalier de Territoire (GHT) a pu dédier un de ces 3 établissements de court séjour à la prise en charge de patients non COVID (Meulan-les-Mureaux). Au CHIPS, le dimensionnement des lits de réanimation a quasiment triplé, puisqu’on est passé de 16 à 43 lits, dont 19 lits à la charge du service d’anesthésie : équipe médicale et équipe paramédicale étaient dédiées à la prise en charge des patients COVID.
Nous avons dû arrêter toute activité de chirurgie programmée sur le CHIPS mais nous avons pu prendre en charge les rares urgences chirurgicales, avec un circuit organisé et distinct. Par contre, le GHT a pu maintenir une activité chirurgicale programmée sur l’établissement de Meulan. Le maintien d’activité de la maternité avec ces 4500 naissances par an a pu se faire avec des circuits différenciés “parturientes COVID” et “parturientes non COVID”.
Pour la deuxième vague, nous avons déployé une autre organisation puisque les trois établissements ont dû accueillir des patients COVID dès le début.
Le maintien d’une activité chirurgicale programmée au sein du CHIPS a été réalisé au prix d’une organisation plus complexe à mettre en œuvre. Les besoins en lits de réanimation ont été moins importants puisque nous sommes actuellement à 20 lits de réanimation sur le CHIPS, soit 8 lits supplémentaires ouverts avec des besoins en effectifs paramédicaux supplémentaires puisque les effectifs stabilisés de la réanimation permettaient d’ouvrir seulement 12 lits. Ce sont donc les professionnels du service d’anesthésie qui ont été déployés pour permettre cette montée en charge. D’où la nécessité de diminuer l’offre chirurgicale programmée.
Sur ces 20 lits de réanimation, 14 sont des lits COVID. Sans participation des médecins anesthésistes pour cette seconde vague.
Mais la gestion du maintien des activités chirurgicales (conformément aux directives du ministère du 28 octobre) a été complexe à mettre en œuvre. La stratégie de l’établissement a privilégié une sélection des patients par spécialité chirurgicale et non pas de manière globale avec des critères qui auraient pu être définis collectivement par un comité de sages. Ce maintien d’une activité chirurgicale s’est fait en diminuant drastiquement le nombre de salles d’opération ouvertes puisque l’on est passé de 8 salles ouvertes en temps normal à 3 salles seulement (donc une diminution de plus de 60% des capacités habituelles). Ce choix a été retenu pour préserver toutes les spécialités chirurgicales, même si certaines spécialités chirurgicales ne présentent pas forcément un niveau d’urgence absolue.
Une cellule de crise se réunissait 2 fois par semaine pour rendre les arbitrages parfois nécessaires, et a toujours validé cette organisation.
On peut signaler cependant le cas particulier de l’endoscopie digestive qui a eu à gérer une file active de patients importante dans le cadre du dépistage de cancers digestifs : nous avons dû ouvrir des plages supplémentaires pour faire face à cette problématique pour limiter les pertes de chance dans le traitement des pathologies carcinologiques.
Le fonctionnement a été très compliqué au bloc opératoire avec des chirurgiens qui demandaient des plages supplémentaires, à l’instar de plusieurs établissements de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris. Mais par manque d’effectifs paramédicaux, ces demandes n’ont pu être honorées, générant de fait des incompréhensions. Il convient de préciser également que le capacitaire en lits conventionnels non COVID était diminué du fait du nombre de patients COVID à gérer.
Pour les deux vagues, la situation a toujours été très difficile. Le premier bilan de ces deux vagues a montré que la chirurgie a payé un lourd tribut, et nous sommes déjà à réfléchir sur l’organisation qu’il conviendrait de mettre en place si une troisième vague survenait en préservant encore mieux l’activité chirurgicale. Cet objectif ne pourra être atteint qu’en conservant plus de ressources humaines paramédicales. Quid alors des capacités de réanimation ? Nous y réfléchissons…
Les professionnels paramédicaux d’anesthésie, qui ont accepté sans aucun problème d’exercer en réanimation pour cette deuxième vague, ont dû travailler avec les médecins réanimateurs contrairement à la première vague (les lits de réanimation supplémentaires ont été installés dans la salle de réveil et gérés par les médecins anesthésistes). Les différences d’organisation de soins et les écarts dans les compétences attendues ont été plus difficiles à gérer pour tous.
Lors de la première vague, on a vécu une période extraordinaire en termes de coopération, de compréhension et de bienveillance entre les équipes médicales et paramédicales, une articulation qui s’est faite de manière fluide et spontanée, avec toujours un médecin réanimateur disponible lorsqu’une situation posait problème.
Lors de cette première vague, les difficultés ont été importantes pour accueillir des patients dans les locaux de la salle de réveil : salle commune pour des patients presque tous intubés, souvent en position ventrale. Malgré cela, nous avons toujours eu le souci de permettre aux familles de venir voir leur parent malgré les locaux inadaptés pour cela, mais pour préserver la relation humaine nécessaire à toute prise en charge complexe…
C’est pour ces raisons que le choix de se cantonner uniquement en réanimation a été fait pour cette deuxième vague.
Non. Parce que dans les Yvelines, même si le nombre de patients a été très important lors de la première vague, il n’a pas été au même niveau que Paris et certaines proches banlieues. La crainte de devoir faire des transferts a été une préoccupation, mais cela ne s’est pas révélé nécessaire.
Par contre, des choix orientés de non-réanimation ont été faits pour des patients qui n’auraient jamais supporté ces soins très lourds du fait des comorbidités sévères qu’ils présentaient. Mais aucun choix éthique lié aux moyens disponibles n’est à déplorer puisque le capacitaire en lits a toujours été suffisant.
Vraisemblablement oui. Lorsque que vous avez une file active de 120 patients en endoscopie digestive pour un dépistage de cancer, il y a forcément dans ce groupe de malades des pathologies carcinologiques détectées avec retard, et donc avec des prises en charge chirurgicales également retardées.
Les choix sont toujours difficiles à faire, surtout lorsque l’on sait que l’obésité est un facteur de risque pour développer une forme grave de COVID 19. La chirurgie bariatrique devient alors nécessaire, mais doit-elle être priorisée au détriment de la chirurgie carcinologique ? C’est un arbitrage difficile.
Notre direction a toujours été mobilisée pour que les soignants puissent disposer des équipements de protection individuelle ad’hoc pendant la première vague. Nous n’avons jamais manqué de rien. Á aucun moment nous n’avons eu besoin d’utiliser des moyens de protection de fortune comme les sacs poubelle comme on a pu le voir dans d’autres établissements. Il y a néanmoins eu quelques alertes sur des tensions d’approvisionnement sur certains éléments de protection. Par exemple, on a quelques difficultés sur les gants : on a dû apprendre à mieux consommer ces ressources rares, mais sans mise en danger des patients et des soignants.
Par contre, les tensions ont été plus ressenties lors de la première vague sur l’approvisionnement de certains médicaments, notamment les curares, avec parfois des difficultés ponctuelles.
Lors de la seconde vague, la cellule de crise a toujours été vigilante sur ce point et nous n’avons déploré aucune rupture d’approvisionnement.
Toutes les équipes sont épuisées. Elles sont en colère de ne pas avoir eu le temps de débriefer les situations rencontrées car tout de suite à la sortie de la première vague, il a fallu se remettre en ordre de marche pour tarir le flux de patients qui n’ont pu être opérés durant cette période, et ce avant les congés d’été.
Le Ségur de la Santé a été perçu comme une escroquerie pour l’ensemble de la communauté soignante.
Mais au sein de notre établissement, il n’y a pas eu de départs massifs comme on a pu le rencontrer dans d’autres structures.
Des manifestations de colère ont été remarquées avec parfois des mouvements d’agressivité car de nombreux soignants déploraient que l’on ne cherche pas à modifier les organisations en profondeur, que l’on soit reparti comme avant la crise COVID sans en tirer les enseignements.
Oui. Des moyens de soutien psychologiques ont été mobilisés, mais finalement peu utilisés par les professionnels de santé, sans que l’on puisse comprendre pourquoi…
Non. Pas dans notre établissement. Tous les médecins ont pris en charge des patients COVID dans les lits de réanimation installés en salle de réveil.
On a eu la chance de retrouver le sens profond de nos métiers dans la prise en charge de ces malades en unité de réanimation transitoire. On a apprécié le soutien réel et marqué du chef de service de réanimation pour nous accompagner plusieurs fois dans la journée : pour répondre à nos questions, pour dissiper nos angoisses, pour nous aider dans les difficultés rencontrées dans la prise en charge de ces malades touchés par cette pathologie nouvelle que chacun découvrait. Jamais nous n’avons été abandonnés.
Oui, on a eu peur de mal faire, mais comme tout le monde. Oui, on n’était pas forcément hyper compétent dans la prise en charge de cette maladie, mais comme tout le monde. Mais à aucun moment, on a eu l’impression de ne pas faire le maximum pour chaque patient.
On a pris le temps de faire un débriefing entre médecins à la fin de la première vague, et les collègues réanimateurs ont su nous rassurer sur ce point.
Oui. On a la chance d’avoir des réanimateurs qui sont spécialisés en pneumologie et des infectiologues. L’établissement était organisé pour que chacun puisse être informé en temps réel des dernières données publiées sur cette COVID 19 : résumé des dernières publications, résumé des dernières données publiées par la Société Française d’Anesthésie Réanimation (SFAR), mises au point de la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF). On avait un excellent niveau d’informations bibliographiques, quasiment en temps réel.
Nous étions dans une zone de sécurité intellectuelle rassurante pour nous.
A l’issue de la première vague, je vous aurais dit : « c’est extraordinaire d’avoir retrouvé le sens profond de notre métier, moins de querelles pour des motifs financiers, avec des soignants qui avaient le même objectif : sauver les patients ! » Et cela était presque agréable malgré les difficultés et les dangers de cette épidémie de retrouver un esprit de solidarité.
Pour le bilan de la deuxième vague, il est encore trop tôt. Mais, on n’a pas su, on n’a pu prendre le temps de faire un vrai bilan sur ce retour d’expérience.
On peut néanmoins retenir une vraie coopération administrative et médicale, avec une place certaine pour le corps médical dans la gouvernance.
Dr Nicolas Tabary
Médecin Anesthésiste – Chef de service d’Anesthésie du Centre Hospitalier Intercommunal de Poissy Saint-Germain-en-Laye (CHIPS)Chaque mois, recevez toute l’actualité sur votre profession et votre spécialité
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