Avec la série de podcasts Portraits d'infirmières, des soignants partagent au micro de la MACSF leur parcours, leurs idées, leurs projets et les valeurs qui les ont amenés à choisir ce métier. Dans ce quatrième épisode, notre journaliste Anne Dhoquois a rencontré Anne-Sophie Roturier, qui a fondé un service de cagnotte solidaire entièrement dédiée à la santé.
Être malade ou vivre avec un handicap entraîne toute une série de frais directs et indirects que sécurité sociale et mutuelle ne suffisent pas à couvrir. Résultat : de nombreuses familles font face à des restes à charge qui les fragilisent ou les obligent à renoncer à des équipements et des soins. C’est face à ce constat qu’Anne-Sophie a eu l’idée de créer un site de cagnotte dédié, où proches et anonymes peuvent contribuer aux soins et aux projets médicaux des autres. Baptisé « La cagnotte des proches », le site a déjà permis d’aider plus de 160 familles depuis sa création en 2016.
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« Qu'une personne atteinte d’un cancer, qui perd son job du jour au lendemain parce qu'elle est malade, ne subisse pas la double peine… C'est ça qui me qui me touche. »
C'est une cagnotte en ligne qui a été créée pour aider des familles (des malades, leurs proches ou même des associations d'intérêt général) à financer des restes à charge de la maladie. Ça peut être des soins, du matériel médical, des projets sportifs, des défis sportifs, aménager la maison, aménager la voiture… Tout ce qui ne peut pas être financé aujourd'hui par la sécurité sociale ou la mutuelle.
Le malade ou un proche crée une cagnotte en ligne, et ça génère un lien internet qu’il va pouvoir partager dans son réseau pour commencer à collecter des dons.
J'ai toujours eu beaucoup d'empathie pour les malades. Depuis que j'ai 6 ans, je veux travailler en milieu hospitalier. J'ai découvert le métier d'infirmière pendant un stage en seconde et ça a été une révélation. En 2001, je suis devenue infirmière, j’ai pas mal travaillé en cancérologie, en chirurgie gynécologique, orthopédique…
Et puis en 2006, ma maman est décédée, d’un cancer assez foudroyant. Là j’ai réalisé que j'avais envie de sortir de ma routine, d’apprendre et d'aller plus loin dans mon parcours professionnel. J’ai rejoint le secteur de l’entreprise, comme infirmière coordinatrice et commerciale, pendant trois ans.
En 2010, mon mari, qui travaillait également dans la santé, a été muté aux États-Unis. Là-bas, j'ai découvert les plateformes de crowdfunding (NDLR : financement participatif) dédiées aux patients. Et en rentrant en France, on a fait le constat que ces plateformes n'existaient pas, ici. Il existe des plateformes généraliste, mais pas de plate-forme dédiée aux patients.
« Il n’existe pas de cagnotte en ligne dédiée à la santé, en France. Or, on n’a plus le choix. La sécu et la mutuelle ne suffisent pas, donc on a besoin de ces cagnottes en ligne pour financer les restes à charge. »
Or, aujourd’hui, on n’a plus le choix. La sécu et la mutuelle ne suffisent pas, donc on a besoin de ces cagnottes en ligne pour financer les restes à charge dans la santé. Pour qu'une personne atteinte de cancer qui perd son job du jour au lendemain parce qu'elle est malade, ne subisse pas cette double peine… C'est ça qui me qui me touche. Être atteint d'une maladie et derrière, devoir aussi subir cette charge financière… Je vois des histoires qui ne devraient même pas exister. Pas en France.
Oui, c’est sûr. Les témoignages que j'ai de familles que j’accompagne, de parents, c'est assez terrible… Dans le handicap, par exemple. Moi, ça me fait mal de voir des parents qui ne peuvent pas avoir de baignoire adaptée ou de table à langer adaptée pour changer leur enfant, parce qu’ils n’en ont pas les moyens.
Une cagnotte sur deux est liée à un cancer : financer des soins de support comme la psychothérapie, la sophrologie, l’acupuncture, les massages… Financer aussi des accessoires qui pallient les effets secondaires des chimiothérapie et de la radiothérapie : des perruques, des vernis pour éviter de perdre ses ongles, des soins pour le corps quand on a la peau brûlée par la radiothérapie… Toutes ces choses qui occasionnent beaucoup de frais, qui ne sont absolument pas prises en charge et qui donnent un vrai confort aux malades.
« 1 cagnotte sur 2 est liée à un cancer : financer des soins de support, des accessoires… Toutes ces choses qui coûtent cher, ne sont pas prises en charge, mais donnent un vrai confort aux malades. »
Mais j’ai constaté qu’au-delà de l’aide financière, ces cagnottes devenaient de vraies cagnottes thérapeutiques. Ça booste énormément le moral et ça participe à la guérison, ou au moins à l'acceptation de la maladie. J'ai vu beaucoup de personnes en fin de vie qui étaient dans des sentiments de colère et de peur, et que les soins de support ont aidées à partir de manière sereine. Or, quand le patient part de manière sereine, la famille l’est aussi. C’est un soulagement pour tous. Ça pour moi, ça n'a pas de prix.
Je pense qu'on a besoin de recréer du lien et de se sentir utile, et la cagnotte des proches, c’est ça aussi. C’est aider le malade, mais aussi permettre au donateur de faire du bien autour de lui. Et tout ça, ça participe au bien-être du malade et du donateur.
Le nombre de malades qui me disent « Moi j'ai personne, tout le monde s'en moque, personne m’appelle… » Mais non, en fait c'est juste que les proches ne savent pas comment se manifester, face à la maladie. La maladie fait peur, on craint d'être maladroit, de dire des choses qui vont blesser… Cette cagnotte, c'est un moyen concret de soutenir un proche malade.
« Beaucoup de malades me disent : « Moi j'ai personne, tout le monde s'en moque… » Mais non. C’est juste que les proches ne savent pas comment se manifester. Cette cagnotte, c’est un moyen concret de soutenir un proche malade. »
Beaucoup de malades se sentent complètement isolés, sont en grande difficulté financière et n’osent pas franchir le pas. Mais souvent j’arrive à les convaincre, parce qu’il y a un avant et un après. Ça transforme les gens.
Même quand une cagnotte ne récolte que quelques centaines d’euros, ça change vraiment le quotidien, pour des gens qui par exemple touchent l'AAH et vivent avec 800 ou 900 € par mois… Et puis on est sur du micro-don, donc même quand on n’a que 1 ou 2 € à donner, multiplié par plusieurs milliers de personnes, on peut vraiment arriver à faire de belles choses.
Pour protéger la vie privée des patients qui le souhaitent. Par exemple, des patients atteints de cancer, qui sont en arrêt maladie et qui n’ont pas forcément envie que leur employeur connaisse leur état de santé. Ça arrive très souvent. Dans ce cas, ils ouvrent une cagnotte privée, à laquelle on ne peut accéder que par un lien.
Ils partent du principe qu’ils ont suffisamment de réseau, de proches mobilisés autour d'eux pour les aider à financer leur besoin. Ces cagnottes privées représentent 50 % de nos projets, donc c'est énorme. Et ce sont les cagnottes qui fonctionnent le mieux.
« Ma connaissance du parcours de soins, l'accompagnement que je propose, le fait de contrôler toutes les cagnottes, aussi… Je pense que c’est ce qui fait notre spécificité. »
Oui, je conseille les cagnotteurs sur la meilleure façon de présentent leur projet. Parce qu’il faut pouvoir le décrire, mettre le donateur en confiance, choisir de bons visuels… C’est important qu’on comprenne très vite le projet et qu’on ait envie de donner. Donc, quand quelqu’un crée sa cagnotte, je suis prévenue par un mail et j’appelle le porteur de projet.
Ça me permet aussi de savoir à à qui je parle et de contrôler la véracité du projet. Parfois, je suis amenée à demander des justificatifs médicaux (qu’on ne partage pas, bien sûr, on fait extrêmement attention) ; les patients le comprennent complètement. Pour moi c’est essentiel, d’avoir ces garanties. Parce que de la fraude, il peut y en avoir.
En France, il y a deux grosses plateformes généralistes qui font beaucoup de solidaire, mais ma connaissance du parcours de soins, l'accompagnement que je propose, le fait de contrôler toutes les cagnottes, aussi… Je pense que c’est ce qui fait notre spécificité.
Le modèle économique est 100 % solidaire. On se rémunère au pourboire. Quand le donateur fait un don, il a la possibilité de laisser quelque chose pour financer notre service. De même, au moment où la famille perçoit sa cagnotte, elle a aussi la possibilité de laisser un pourboire.
« Je donne beaucoup d’énergie à ce projet. Je pense que ça vaut vraiment le coup de se battre pour le rendre viable. Parce que ça voudra dire que j’aurais aidé des centaines et des centaines de familles. »
Ça marche, parce que laisser le choix aux gens de donner ou pas et pour quel montant, ça donne envie de nous encourager. Mais le pourboire, on ne pourra pas en vivre. Donc on est en train de monter des partenariats avec des prestataires de matériel médical pour nous financer en partie, par un principe de rétro-commission : si un cagnotteur utilise sa cagnotte pour un achat (un fauteuil roulant, par exemple) chez un partenaire, celui-ci nous reversera un pourcentage de la vente.
Oui. Je donne beaucoup d'énergie à ce projet je pense que ça vaut vraiment le coup de se battre pour le rendre viable. Parce que ça voudra dire que j’aurais aidé des centaines et des centaines de familles.
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