Quand une chute entraîne une intervention qui entraîne une infection nosocomiale…

Une patiente, hospitalisée dans un CHU, tombe de son lit et se luxe l’épaule. Elle subit alors une intervention chirurgicale, au cours de laquelle elle contracte une infection à staphylocoque dont elle conserve des séquelles avec un déficit fonctionnel permanent évalué à 40 %.

La commission de conciliation et d’indemnisation (CCI), saisie par la patiente, rend un avis imputant la chute à un défaut de surveillance fautif de la part du CHU et mettant à sa charge l’indemnisation de toutes les conséquences de l’accident, y compris l’infection nosocomiale. L’assureur de l’établissement ayant refusé de suivre cet avis et d’indemniser la patiente, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) se substitue à lui et indemnise à hauteur de plus de 160 000 €.

Subrogé dans les droits de la patiente à concurrence de cette somme, il exerce un recours à l’encontre du CHU devant le tribunal administratif. Le tribunal condamne l’établissement à rembourser à l’ONIAM les indemnités versées au titre de la seule luxation de l’épaule, mais pas celles versées au titre des conséquences de l’infection nosocomiale. Cette décision est confirmée par la cour administrative d’appel. L’ONIAM se pourvoit alors en cassation devant le Conseil d’Etat.

Selon l’article L. 1142-1-I- alinéa 2 du code de la santé publique (CSP), les établissements de soins sont responsables de plein droit des dommages résultant d’infections nosocomiales, avec la cause étrangère comme seule possibilité d’exonération.

Lorsque le dommage résultant de l’infection nosocomiale en cause correspond à une atteinte à l’intégrité physique ou psychique supérieure à 25 % ou consiste en un décès, c’est la solidarité nationale qui doit l’indemniser. Une action récursoire de l’ONIAM n’est ensuite possible à l’encontre de l’établissement que si ce dernier a commis une faute à l’origine du dommage.

Les textes visent "notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales."

La cour administrative d’appel a estimé qu’il existait bien un lien de causalité direct entre le défaut de surveillance ayant permis la chute et les conséquences de la luxation de l’épaule proprement dite. C’est la raison pour laquelle elle a admis l’action récursoire de l’ONIAM pour ces seules conséquences.  

En revanche, elle a estimé que ce lien de causalité n’était pas suffisamment direct entre le manquement de l’établissement à son devoir de surveillance et le dommage imputable à l’infection nosocomiale.

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt. Il considère, au contraire, que ce lien de causalité est établi puisque l’infection a été contractée au cours d’une intervention qui a été rendue nécessaire par la blessure causée par la chute.  

Dans la plupart des affaires dans lesquelles une action récursoire est engagée par l’ONIAM après avoir indemnisé les conséquences d’une infection nosocomiale grave, le grief fait à l’établissement porte sur le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. En d’autres termes, le recours est fondé sur le fait que l’établissement n’a pas pris les mesures adéquates pour prévenir ces infections.

C’est d’ailleurs l’hypothèse expressément prévue à l’article L. 1142-1-I alinéa 2 du CSP. Mais l’emploi de l’adverbe "notamment" dans cet article laisse entendre que ce n’est pas la seule. Cette affaire en est l’illustration : la faute réside ici dans une surveillance inadaptée qui a conduit à la chute, elle-même à l’origine de l’intervention, elle-même à l’origine de l’infection nosocomiale.

Le Conseil d’Etat se livre donc à une interprétation extensive du lien de causalité, considéré ici comme "direct" dans le cadre d’un enchaînement de plusieurs événements dont le dernier a abouti au dommage.