Chirurgie de la cataracte en cabinet médical sans autorisation de l’ARS : c’est non !

Une chirurgie de la cataracte pratiquée en cabinet, sans autorisation

Un ophtalmologiste exerçant en libéral pratique la chirurgie de la cataracte dans ses deux cabinets, principal et secondaire, sans avoir requis au préalable l’autorisation de l’ARS.

Il est mis en demeure par l'ARS de cesser cette activité et est informé de ce que la persistance d'une telle pratique pourrait conduire à une saisine du procureur de la République en vue de poursuites pénales.

La procédure administrative

L’ophtalmologiste conteste la mise en demeure de l’ARS devant le tribunal administratif, qui rejette sa demande. Le rejet ayant été confirmé par la Cour administrative d’appel, le praticien se pourvoit en cassation devant le Conseil d’État.

Celui-ci, par l’arrêt du 22 juillet 2020, rappelle que la chirurgie de la cataracte ne peut être regardée comme une prestation délivrée lors d'une consultation. Elle nécessite le recours à un secteur opératoire, quand bien même elle serait pratiquée sous anesthésie topique et non sous anesthésie générale ou locorégionale.

Il résulte des textes applicables (art. L.6122-1, art. R.6122-25, art. D.6124-301-1 du Code de la santé publique - CSP) que les actes chirurgicaux qui nécessitent une anesthésie ou le recours à un secteur opératoire, s’ils ne sont pas exclusivement réservés aux établissements de santé, sont néanmoins soumis à autorisation de l’ARS.

La procédure pénale

Parallèlement à la procédure administrative, des poursuites pénales ont été engagées à l’encontre de l’ophtalmologiste pour délit d’ouverture ou gestion sans autorisation d’un établissement de santé privé. 

Il est condamné par le tribunal correctionnel à une amende de 20 000 €, portée à 30 000 € en appel. Il se pourvoit alors en cassation. 

La Cour de cassation conclut dans un sens identique au Conseil d’Etat, rappelant que "l’opération de la cataracte constitue un acte chirurgical qui doit être pratiqué dans un établissement autorisé, fût-il un cabinet médical".

La Cour de cassation confirme les peines prononcées par son arrêt du 16 février 2021.

La procédure disciplinaire

Compte tenu de la réticence de l’ophtalmologiste à se plier à l’injonction de l’ARS, le conseil départemental de l’Ordre des médecins a réagi : il a saisi la chambre disciplinaire de première instance d’une plainte disciplinaire, sur le fondement d’un non-respect de l’article R.4127-71 du code de la santé publique. 

Cet article prévoit que "Le médecin doit disposer, au lieu de son exercice professionnel, d’une installation convenable, de locaux adéquats pour permettre le respect du secret professionnel et de moyens techniques suffisants en rapport avec la nature des actes qu’il pratique ou de la population qu’il prend en charge. Il doit notamment veiller à la stérilisation et à la décontamination des dispositifs médicaux, qu’il utilise, et à l’élimination des déchets médicaux selon les procédures réglementaires. Il ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes médicaux ou la sécurité des personnes examinées (…) ".

• En première instance, le praticien a été sanctionné d’une interdiction d’exercer la médecine pendant trois mois, dont deux mois avec sursis.
• Cette sanction a été annulée en appel par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre qui, contre toute attente, a considéré que l’activité de chirurgie de la cataracte n’était pas subordonnée à l’obtention préalable d’une autorisation.
  C’est cette fois le conseil départemental de l’Ordre des médecins qui s’est alors pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat. 
• Par une décision du 6 avril 2022, le Conseil d’Etat annule la décision de la chambre disciplinaire nationale.
  Il considère en effet que l’activité exercée entre dans le champ de l’article R.6122-25 du CSP, s’agissant d’une activité de soins exercée sous la forme d’une alternative à l’hospitalisation et portant sur la chirurgie. Le conseil national a donc commis une erreur de droit en considérant que l’activité de chirurgie de la cataracte dans un cabinet libéral n’est pas soumise à autorisation. 

L’article R. 4127-71 du CSP n’a pas été respecté du fait de cette absence d’autorisation.

Si elle avait été demandée, l’autorisation aurait-elle été accordée par l’ARS ?

Toutes les décisions rendues dans le cadre de ce long feuilleton judiciaire convergent pour dire qu’une demande d’autorisation est nécessaire pour réaliser une chirurgie de la cataracte en cabinet libéral. Mais ni le Conseil d’Etat, ni la Cour de cassation ne se prononcent expressément sur la question de la pertinence de cette pratique en cabinet : si l’autorisation était demandée, serait-elle accordée ? Rien n’est moins sûr…

En effet, dans son rapport d’évaluation "Conditions de réalisation de la chirurgie de la cataracte : environnement technique", de juillet 2010, la HAS aborde la question de la réalisation de cette chirurgie en "cabinet de ville".

Elle souligne que le terme de "cabinet de ville" est imprécis et recouvre une grande variété d’organisations et de structures aux équipements très différents, du simple lieu de dispensation de soins primaires à un environnement plus technique.

Néanmoins, la HAS exclut, de fait, les cabinets médicaux compte tenu :

• des exigences importantes en termes de plateau technique et de personnel qu’elle pose dans son rapport ;
• de sa conclusion que la chirurgie de la cataracte doit être réalisée au sein d’un bloc opératoire.
   

D’ailleurs, dans sa synthèse de rapport d’évaluation de technologies de santé, elle est encore plus claire puisqu’y figure en en-tête la mention selon laquelle il s’agit "d’une activité chirurgicale qui ne peut être pratiquée au cabinet".