Méconnaissance d’une hémorragie méningée « atypique » ? Deux généralistes concernés

Ce patient âgé de 38 ans sans antécédent, consulte pour des céphalées fronto-temporales inhabituelles apparues brutalement la veille, isolées (en dehors d’un vomissement initial), irradiant vers l’oreille, unilatérales et ne cédant qu’imparfaitement au paracétamol. D’après son épouse, le généraliste lui conseille d’aller consulter un ophtalmologiste.

Le lendemain, il lui conseille un rendez-vous chez un dentiste et une radiographie des sinus. Trois jours plus tard, les céphalées sont toujours présentes, les examens normaux. Cet homme, ouvrier agricole, continue à travailler, mais d’après son épouse, il se couchait en rentrant et paraissait « ralenti ».

Six jours après cette consultation, un dimanche à 5 H du matin, il fait un malaise que sa femme aurait étiqueté comme une crise d’épilepsie, pathologie connue chez son fils épileptique, scolarisé dans une IME (ce qui est contesté par le médecin qui dit avoir lui-même soulevé ce diagnostic le lendemain matin au téléphone). Il a des céphalées intenses, aurait présenté des mouvements anormaux, puis était pâle et confus ; il reste hébété sur son canapé toute la journée. Il préfère consulter une autre généraliste (en fait l’associé du médecin traitant), et obtient un rendez-vous le lundi soir. Le médecin prend un rendez-vous cinq jours plus tard chez un neurologue, faute d’obtenir un scanner rapidement (demande effectuée par la secrétaire, délais importants dans la région).

Quatre jours plus tard, il est hospitalisé par le SAMU après un « malaise » sur son lieu de travail. 14 jours se sont écoulés depuis la première consultation.

Le « malaise » est en fait une perte de connaissance avec hémiparésie droite et aphasie ayant régressé en quelques heures. Le scanner en urgence montre une hémorragie méningée, une hémorragie intra ventriculaire. A l’artériographie, existe une rupture d’anévrysme lenticulo-strié gauche dont il est prévu l’embolisation le lendemain. Dans l’intervalle, l’état s’aggrave　avec troubles de conscience, hémiplégie et aphasie secondaires à un hématome intra cérébral.

Il est embolisé, surveillé en neurochirurgie et transféré un mois plus tard en rééducation où il séjournera quasiment deux ans entrecoupés par un essai de retour à domicile de quelques mois.

Il reste hémiplégique, aphasique et a un important retentissement neuropsychologique (apraxies, aboulie, héminégligence…). Il a des crises d’épilepsie avec rupture passagère de la conscience.

Deux ans plus tard, s’il peut marcher sur de courtes distances malgré une spasticité, il garde un membre supérieur quasi inutilisable avec une main fermée non fonctionnelle. L’épilepsie est bien équilibrée avec le traitement. Surtout, les troubles cognitifs, du langage et les troubles neuro-psychologiques importants ne lui permettent pas une grande autonomie. Des aides à domicile (trois heures par jour et neuf heures par semaine pour accompagnement dans les sorties) sont nécessaires ; il a été mis sous curatelle, vivant seul à son domicile depuis le départ de sa femme.

L’expert, neurologue, a entendu les deux généralistes (2006 et 2007).

Le médecin traitant confirme les céphalées violentes avec un vomissement. Il aurait fait un examen neurologique, décrit minutieusement lors de l’expertise, s’avérant normal. Il aurait évoqué soit une HTIC, soit une migraine, soit une algie vasculaire de la face mais reconnaît qu’à aucun moment, il n’a pensé à une hémorragie méningée. Le seul cas auquel il a été confronté pendant trente ans d’exercice se présentait bien différemment avec confusion, déficit moteur et raideur de la nuque.

Le second généraliste indique que le patient se plaignait de céphalées et de rachialgies cervicales et lombaires. Il n’avait pas très bien compris ce que lui disait l’épouse au téléphone le matin, si ce n’est que son mari se plaignait d’avoir très mal à la tête. Il n’avait pas la notion d’une perte de connaissance ou de mouvements anormaux. Il n’y avait pas de morsure de langue. Il a noté dans son dossier « perte d’urine cette nuit ». Son état de conscience était normal, l’examen neurologique aussi. Il a été rassuré par ces données cliniques et le fait que le patient avait travaillé toute la journée. Il a pensé qu’il avait fait un malaise vagal du fait de la douleur. Sur interrogation de l’expert, il reconnaît qu’il n’a pas songé à adresser le patient au CHU après l’échec de l’obtention d’un rendez-vous rapide de scanner.

L’expert s’étonne des diagnostics évoqués par le médecin traitant et des examens demandés pour les étayer ; seule une imagerie cérébrale aurait permis le diagnostic. Si le second médecin a évoqué une origine neurologique, il n’avait sans doute pas pris conscience de la gravité des signes cliniques, l’état du patient étant en apparence rassurant.

Le médecin précise que l’examen neurologique était normal et ne « montrait pas en particulier cette fameuse raideur de la nuque, toujours invoquée dans les hémorragies méningées mais dont on sait qu’elle peut parfaitement manquer ». Ce médecin « n’a pas non plus saisi la nécessité d’agir en urgence », ce d’autant qu’il avait évoqué le diagnostic de crise comitiale.

« Le diagnostic d’hémorragie méningée doit être évoqué devant toute céphalée brutale, intense, surtout chez un patient qui n’a pas un réel profil de patient migraineux. C’est le caractère extrêmement brutal et intense, d’autant plus qu’il s’est accompagné d’un vomissement, qui aurait dû attirer l’attention et faire éliminer l’hémorragie méningée, compte tenu de sa gravité. Tous les autres signes décrits dans l’hémorragie méningée sont inconstants ». Il est vrai que le tableau présenté n’était pas le tableau typique décrit dans les livres mais la seule céphalée intense et brutale doit faire évoquer le diagnostic.

« Si le diagnostic avait été établi plus tôt, il est incontestable que l’embolisation aurait pu être effectuée avant l’apparition de signes déficitaires ». C’est avant la rupture de l’anévrysme que l’on donne au patient toutes les chances d’une guérison sans séquelle bien qu’existent des complications, rares de ce traitement. Le retard diagnostique a laissé le temps à cette hémorragie de se compléter, à savoir d’entraîner la rupture de l’anévrysme et de laisser se constituer une hémorragie cérébrale grave aux séquelles irréversibles. L’expert fixe une perte de chance de guérison sans séquelle « dans les 70 % ».

Le tribunal (2013) prend en compte les observations des médecins discutant du moment de la rupture de l’anévrysme (céphalées annonciatrices dites sentinelles ou fissuration d’emblée ?) et de la perte de chance, mais considère que ces observations sont tardives et n’ont pas été contradictoires lors de l’expertise.

Il rappelle que le médecin traitant a adressé un courrier à l’épouse, peu de temps après les faits, précisant sans ambiguïté ni réserves : « Je reconnais avoir mal interprété les symptômes que présentaient votre mari et mal estimé les complications liées à sa maladie ».

« Il est acquis que le retard apporté au diagnostic et au traitement de l’anévrysme a privé le patient d’une chance très sérieuse et importante d’éviter les séquelles dont il est atteint. La perte de chance en lien causal direct et certain avec ce retard, imputable aux deux médecins à parts égales, sera valorisée à 70 % ».

Indemnisation totale : 918 757 € (dont 232 633 € pour les organismes sociaux).

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