Expertise médicale judiciaire au civil : quelles sont les causes d'irrégularité ?

Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par une expertise médicale sur une question qui requiert les lumières d’un technicien. Le juge désigne l’expert qu’il estime compétent dans le domaine considéré, parmi la liste des experts agréés par les cours d’appel.

Si l’expert estime qu’il n’a pas les compétences requises, il doit se récuser. Ce motif peut aussi être invoqué à l’appui d’une contestation du rapport d’expertise, si l’expert ne s’est pas récusé et si les opérations ont été menées jusqu’à leur terme.

Le fait d’avoir « le sentiment d’avoir des qualifications supérieures à celles de l’expert » et des critiques quant à son manque supposé de pratique dans le domaine objet du litige ne peuvent fonder une contestation (Cour d’appel de Paris, 14 mars 2019).

> La récusation de l’expert judiciaire

L’expert judiciaire étant choisi en raison de sa qualification, il ne peut déléguer la réalisation de l’expertise médicale à un tiers. En revanche, il est en droit de s’adjoindre un sapiteur, c’est-à-dire un praticien aux compétences expertes ou spécialisées dont il joindra l’avis au rapport.

Un expert ne peut se contenter de renvoyer à la lecture du rapport de son sapiteur sans l’analyser ou en tirer de conclusions.

Le principe est de permettre une information de toutes les parties et une discussion contradictoire, à chaque étape de l’expertise médicale :

• convocation,
• échanges de pièces et de documents utiles à l’expertise,
• transmission du pré-rapport pour permettre d’éventuels dires,
• transmission du rapport définitif.

Le non-respect du principe du contradictoire peut être considéré comme un vice de forme ou un vice de fond (dans les cas où il constitue une grave atteinte aux droits de la défense).

Quelques exemples de non-respect du principe du contradictoire : omission de convoquer l’une des parties,de transmettre aux parties l’avis recueilli auprès d’un technicien,se procurer des pièces directement auprès d’un établissement et en faire état dans le rapport définitif, sans les communiquer aux parties et sans qu’elles aient pu être discutées, etc.

Le technicien doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité. Il doit observer une stricte neutralité et s’interdire toute inclinaison ou réserve à l’égard d’une partie. Par exemple, il ne doit formuler aucun jugement de valeur ni terme trahissant un parti-pris ou une connivence avec une des parties. Les appréciations subjectives sur les compétences du praticien mis en cause, les réflexions ou sous-entendus sur l’attitude de la victime doivent être bannis.

Le fait qu’il existe des liens entre l’expert et une des parties (exemple : exercice dans le même établissement qu’un des médecins mis en cause) conduit souvent à une récusation de l’expert en amont des opérations d’expertise médicale. Mais si ce n’est pas le cas, un manque d’impartialité peut être invoqué à l’appui d’une contestation. Cependant, tout sera fonction des circonstances. Par exemple, le fait qu’un expert appartienne à la même société savante (comprenant près de 250 membres) que le médecin mis en cause ne traduit en lui-même aucune affinité personnelle entre les membres, qui constituerait un soupçon de connivence, à plus forte raison en l’absence d’autre élément susceptible d’établir un quelconque lien d’amitié (Cour d’appel de Reims, 12 février 2019).

Le fait que les conclusions de l’expert ne correspondent pas aux attentes du patient n’est pas suffisant pour établir un soupçon de partialité, en l’absence de tout autre élément (Cour d’appel de Lyon, 27 septembre 2011).

Le technicien doit donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a été commis et ne peut répondre à d’autres questions, sauf accord écrit des parties. Il ne doit jamais porter d’appréciations d’ordre juridique.

Si l’expert peut qualifier le comportement d’une partie comme non-conforme aux règles de l’art, il ne peut en revanche se prononcer sur les responsabilités qui en découlent, puisqu’il s’agit d’une notion juridique. Mais dans ce cas, il est rare que le juge prononce la nullité ; le plus souvent, il écarte cette partie du rapport.

L’absence de dépôt d’un pré-rapport, alors que c’était prévu dans la mission, peut constituer une formalité substantielle (Cassation civile, 29 novembre 2012, n°11-10805).

L’expert doit respecter les échéances fixées dans sa mission et déposer son rapport dans des délais raisonnables.  

Il est rare que le dépassement du délai pour déposer le rapport donne lieu à une annulation des opérations d’expertise, sauf retard extrême ; le plus souvent, l’expert demande une prorogation de délai au juge.

L’inopposabilité

Le juge peut écarter l’expertise irrégulière, en la considérant comme inopposable. En cas de non-respect du principe du contradictoire, le fait qu’une des parties n’ait pas été convoquée aux opérations d’expertise médicale n’exclut pas l’opposabilité de l’expertise à son égard, dès lors qu’une discussion contradictoire a été possible.

La régularisation

Le juge peut demander une régularisation des opérations d’expertise (article 177 du CPC) ou une reprise des opérations entachées d’irrégularités.

La nullité

La demande est soumise aux dispositions régissant la nullité des actes de procédure (articles 175 à 178 du CPC).

Pour obtenir une nullité suite à un vice de forme, il faut qu’un texte le prévoie expressément, qu’il en découle un grief et qu’aucune régularisation n’ait été réalisée (article 114 du CPC).

Pour obtenir la nullité d’un vice de fond, il n’est pas nécessaire de démontrer un préjudice ou qu’il existe un texte qui le prévoie (article 119 du CPC).

Mais dans les deux cas, le vice doit être démontré et justifié par des éléments probants.

La nullité ne s’applique qu’aux opérations affectées par l’irrégularité, et non nécessairement à la totalité du rapport (article 176 du CPC). Quand tout le rapport est annulé, il peut encore être invoqué dans les débats, à titre de simple renseignement.