Sages-femmes : pas de condamnation pénale pour un décès in utero

Alors que le terme de sa grossesse était prévu le 24 août, une patiente se rend à la clinique le 5 août ayant perdu les eaux. Elle déclare sentir son enfant moins bouger depuis 48 h environ alors qu’elle se trouvait en week-end.

A son arrivée à la clinique, vers 15 h, elle est prise en charge par une sage-femme. Après lui avoir attribué une chambre, celle-ci lui conseille de marcher pour faciliter le travail et de voir à 18 h 30 le gynécologue. Jusque-là tout semble stable, malgré l’apparition d’anomalies du RCF¹ dès 15 h 47 et signalées à l’obstétricien à deux reprises. 

Après le passage du praticien, la patiente reste sous la surveillance d’une sage-femme qui considère que le RCF est effectivement à surveiller, même si aucune consigne particulière n’est donnée.

A 22 h, après le changement d’équipe, une seconde sage-femme rompt la poche des eaux pour accélérer l’accouchement, le liquide est alors légèrement teinté.

 A 22 h 40, l’obstétricien, qui était alors à son cabinet, est prévenu par téléphone du déroulement de l’accouchement et de l’état de sa patiente. Il ne vient cependant pas contrôler lui-même la situation, mais donne son feu vert pour que l’anesthésiste pose une péridurale par précaution, le RCF n’étant pas satisfaisant.

La sage-femme, ayant par la suite constaté une bradycardie, appelle à nouveau le médecin pour l’en informer. A 23 h 20, l’obstétricien demande donc la pose d’une sonde d’oxymétrie, et la patiente est mise sous oxygène.

Malgré l’apport d’oxygène, le RCF reste insatisfaisant. La sage-femme décide alors de rappeler l’obstétricien, puis de préparer de son propre chef la patiente pour une césarienne.

Peu de temps après, la sonde d’oxymétrie est expulsée, et la sage-femme ne parvient pas à la reposer.

Vers minuit, le médecin revient et, malgré un RCF oscillant, il est rassuré compte tenu du résultat de l’oxymétrie, ayant lui-même reposé la sonde, et décide d’attendre une heure avant de refaire le point.

A 00 h 30, le cœur de l’enfant cesse de battre. Ayant été appelé en urgence par la sage-femme, l’obstétricien arrive immédiatement et constate, après échographie, qu’il n’y a plus rien à faire.

L’accouchement par voie basse est finalement réalisé à 03 h 02 à l’aide de ventouses.

En raison du décès de leur enfant, les parents décident de porter plainte à la gendarmerie.

Dans le cadre de l’enquête préliminaire, plusieurs membres du personnel de la clinique sont entendus : les aides-soignantes présentes lors de l’accouchement, les sages-femmes, la secrétaire de l’obstétricien, l’anesthésiste ayant réalisé la péridurale, mais aussi l’obstétricien lui-même, le gynécologue ayant suivi la grossesse et même le directeur de la clinique, ainsi que le responsable qualité.

Les deux sage-femme intervenues ainsi que l’obstétricien furent même brièvement placés en garde à vue dans le cadre de cette procédure.

L’appareil de saturation utilisé lors de l’accouchement est par ailleurs expertisé. L’analyse conclut que l’appareil a été mal utilisé par le personnel et, notamment, que la sonde a été mal posée. Aucune anomalie de l’appareil n’est en revanche relevée.

L’enquête permet aussi de révéler que l’obstétricien était président de la CME de la clinique, et que le personnel le craignait …

Une première expertise permet de déterminer que la mort aurait pu être évitée par une extraction fœtale réalisée à temps. La gravité des anomalies du RCF ne permettait pas de mettre en place une surveillance de deuxième ligne qui s’est avérée faussement rassurante. La sage-femme et l’obstétricien ont fait une mauvaise appréciation des graves perturbations du RCF.

Une contre-expertise confirme que les sages-femmes ont eu une interprétation erronée et optimiste du RCF. Elles auraient dû alerter le médecin plus tôt.

Le deuxième expert reproche en outre à l’obstétricien de ne pas être allé directement constater par lui-même que le rythme était anormal, et de s’être absenté malgré la gravité de la situation. Le choix d’une surveillance par oxymétrie fut également critiqué.

Enfin, l’expert conclut qu’une extraction fœtale aurait pu être salvatrice jusqu’à 22 h 40, et que l’enfant est décédé d’une anoxie néonatale pendant le travail.

A l’issue de l’information judiciaire, l’obstétricien et la sage-femme ayant pris en charge la patiente durant la nuit furent mis en examen pour homicide involontaire et non-assistance à personne en péril.

Comme relevées au cours des expertises, plusieurs fautes d’inattention, de négligence et d’imprudence furent en effet retenues contre eux en raison de leur attitude au cours de l’accouchement.

Suivant les conclusions des experts, les magistrats considérèrent que la sage-femme aurait dû exercer une surveillance plus rapprochée du RCF, et que ses contrôles ont été insuffisants. Elle a ainsi sous-estimé l’importance des troubles, a alerté l’obstétricien de manière insuffisamment franche et trop tardive, ne provoquant pas sa venue, ni son analyse personnelle des tracés.

Son rôle était pourtant de suivre le déroulement du travail et d’alerter le médecin sur les difficultés pouvant survenir. En sa qualité de professionnelle médicale, elle avait tous les éléments lui permettant de conclure que l’enfant était en souffrance et qu’il fallait intervenir au plus vite. Elle ne pouvait donc pas se retrancher derrière son lien de subordination, ni derrière les tensions pouvant exister pour se dédouaner.

Lorsque l’obstétricien décide d’attendre et de ne pas césariser la patiente, (qu’elle avait pourtant préparée pour cela), elle aurait dû manifester son désaccord, son inquiétude et sa surprise, ou même fournir au praticien ses éléments médicaux d’appréciation, ce qui aurait pu le conduire à revoir sa position.

De son côté, le praticien, qui était informé très tôt des troubles du RCF, aurait dû s’assurer du suivi de ces anomalies et des demandes de la sage-femme.

Il aurait en outre dû procéder lui-même à l’analyse des tracés, et ne pas se fier à la seule appréciation de la sage-femme.

Enfin, il s’est entêté à se fier à l’oxymétrie, alors que cette donnée est controversée et que la sonde avait été un temps expulsée, ce d’autant qu’il existait des éléments d’inquiétude importants dès 22 h 30.

Malgré cette multitude de fautes, le juge d’instruction prononça un non-lieu à l’encontre des deux professionnels de santé poursuivis.

En effet, force est de constater que la patiente ne s’est jamais retrouvée en péril, son intégrité physique et son pronostic vital n’ayant jamais été mis en jeu. Les faits ne peuvent dès lors être qualifiés de non-assistance à personne en danger.

De même, si les fautes relevées ont contribué au décès de l’enfant, celui-ci est décédé in utero et n’avait pas acquis la personnalité juridique. L’infraction d’homicide involontaire n’est donc pas constituée elle non plus.

Suivant une interprétation stricte de la loi pénale, le juge d’instruction a considéré que l’infraction d’homicide involontaire ne peut s’appliquer au fœtus.

Cette décision est conforme à la jurisprudence désormais traditionnelle de la Cour de cassation concernant les enfants à naître.

La Haute Cour a en effet jugé que "le principe de légalité des délits et des peines qui impose une interprétation stricte de la loi pénale s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du Code pénal réprimant l’homicide involontaire d’autrui soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus" (C. Cass. ass. plén., 29/06/01, n°99 85 973).

En matière pénale, c’est ainsi le fait de naître vivant et viable qui conditionne l’attribution de la personnalité juridique à l’enfant, et donc la possibilité de retenir l’incrimination d’homicide involontaire.

Bien que réaffirmée à diverses reprises, cette jurisprudence suscite toujours des débats doctrinaux et éthiques, et fait parfois l’objet d’une résistance de certains juges du fond (Pau 5 février 2015, n°14/00480 par exemple).

Sur le plan médical, l’Académie de médecine reconnait l’enfant à naître comme un patient à part entière pour le praticien qui le soigne, et le Comité Consultatif National d’Ethique considère que "l’embryon humain, dès la fécondation, appartient à l’ordre de l’être et non de l’avoir, de la personne et non de la chose ou de l’animal" (avis émis en 1989 concernant le don des gamètes et d’embryons).

N’oublions pas, enfin, que les parents peuvent désormais solliciter un acte d’enfant sans vie afin d’établir une filiation et de permettre une reconnaissance des enfants-morts-nés (articles 79-1 Code Civil et  R. 1112-72 du CSP).

Quoi qu’il en soit, cette jurisprudence permet aujourd’hui aux soignants de bénéficier d’une "immunité pénale" lorsque leurs fautes ont provoqué la mort d’un enfant à naître.

¹RCF Rythme cardio foetal