De lourdes séquelles
Il s’agit d’un homme de 37 ans, architecte, droitier, qui présente un syndrome du canal carpien droit.
Il consulte un chirurgien avec un électromyogramme datant de moins d’un mois retrouvant un syndrome du canal carpien droit typique sans signe de gravité.
Une intervention est décidée sous endoscopie en ambulatoire. Une information exhaustive est donnée sur les risques opératoires.
À la lecture du compte-rendu opératoire, le geste se déroule sans difficulté.
L’appel téléphonique le lendemain par l’infirmière de l’établissement ne relate pas d’anomalie particulière. Il est juste noté : "douleurs importantes la nuit postopératoire mais semble aller mieux le lendemain".
Le praticien est revu en consultation à un mois postopératoire. Le patient décrit une anesthésie des trois premiers doigts de la main qu’il estime très majorée par rapport à sa symptomatologie préopératoire. Le praticien se veut rassurant.
À la consultation de contrôle à trois mois, les doléances sont à l’identique. La main apparaît parfaitement mobile. Cependant, il est retenu le diagnostic d’algodystrophie.
À six mois, le médecin traitant prescrit un électromyogramme et une échographie qui vont révéler un névrome au niveau du nerf médian à l’imagerie et une souffrance majeure axonale du nerf médian à prédominance sensitive.
Le patient est alors revu en consultation et le chirurgien reste sur son diagnostic d’algodystrophie.
Ayant perdu confiance, le patient consulte alors un autre chirurgien spécialisé dans la main qui pose l’indication d’une exploration chirurgicale. La section partielle du nerf médian est confirmée et prise en charge.
Les suites opératoires seront marquées par une algodystrophie majeure qui, à plus de deux ans, laisse une main figée non fonctionnelle.
Une succession d’erreurs du chirurgien
Dans cette affaire, la responsabilité du praticien se voit largement engagée.
Cette prise en charge révèle toutes les erreurs à ne pas faire :
- Les recommandations de la Haute Autorité de Santé sont de proposer un traitement médical infiltratif et/ou orthèse avant de poser une indication chirurgicale dans les formes bénignes du syndrome du canal carpien, comme c’est le cas.
- Comme dans toute indication opératoire, en 2021, les chirurgiens se doivent d’exposer les alternatives thérapeutiques y compris dans les choix techniques retenus. Le patient a reproché une chirurgie vidéo-assistée au prétexte qu’un proche avait été opéré à ciel ouvert avec un excellent résultat fonctionnel. Il déplore qu’il ne lui ait pas été proposé cette option thérapeutique. L’expert retiendra un défaut d’information.
- Concernant la technique opératoire, il est à l’évidence survenu une plaie du nerf médian qui sera considérée par l’Expert comme une maladresse chirurgicale, cette chirurgie étant une chirurgie de première intention.
- L’expert retiendra une mauvaise gestion de l’appel du lendemain à l’encontre de l’établissement de santé avec un questionnement du patient non adapté à la prise en charge chirurgicale.
- Le praticien s’est mis des œillères et a refusé d’accepter la complication qui est survenue de toute évidence. Le diagnostic d’algodystrophie qu’il retenait à trois mois n’était pas recevable devant une main à mobilités strictement normales.
- L’Expert retiendra un défaut de diagnostic de la complication à l’origine de perte de chance de 70% d’avoir une récupération nerveuse correcte par une microchirurgie de suture directe.
- La survenue de l’algodystrophie au décours de la prise en charge du névrome sera considérée par l’Expert comme imputable à la maladresse et par conséquent les préjudices en rapport se devront d’être indemnisés par l’assurance du chirurgien.
Les leçons à tirer
La prise en charge des pathologies de l’appareil locomoteur est de plus en plus protocolisée par la Haute Autorité de Santé. Le non-respect de ces protocoles est systématiquement pointé du doigt par les experts.
L’information ne se résume pas à l’information des risques opératoires mais doit également exposer des alternatives thérapeutiques en général mais plus spécifiquement des alternatives dans les techniques chirurgicales.
Tous les chirurgiens, aussi brillants soient-ils, dans leur carrière auront un geste malheureux. Un bon chirurgien n’est pas un chirurgien qui n’a pas de complication mais un chirurgien qui gère ses complications. Le déni de la survenue de la complication est quasi systématiquement lourdement sanctionné par les experts.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce dossier est extrêmement lourd de préjudices car l’assurance du chirurgien se doit d’assumer :
- Une très importante répercussion professionnelle : cet architecte talentueux n’a pas pu continuer à exercer son métier alors qu’il avait des revenus professionnels très importants. Le préjudice professionnel est donc majeur.
- Père de trois enfants en bas âge, non seulement il a besoin d’une aide en tierce personne pour les gestes quotidiens mais aussi pour ses enfants. Une tierce personne a été retenue à hauteur de 3 heures par jour jusqu’à la majorité de son dernier enfant puis en viager à 1heure par jour.
À retenir
La neurolyse du nerf médian est un geste qui dure quelques minutes mais s’avère être très lourd de conséquences.
L’indication doit donc être réfléchie en respectant les recommandations établies, l’information exhaustive et tracée, l’appel du lendemain par l’infirmière protocolisé avec les "questions à poser adaptées à chaque chirurgie" et, comme tout geste chirurgical, plus une complication est détectée tôt, plus elle sera prise en charge rapidement et le résultat fonctionnel in fine ne sera que meilleur.
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