Une nouvelle politique de périnatalité nécessaire ?
En 2023, la France se place au 22e rang européen en matière de mortalité infantile, qui ne cesse d’augmenter sur le territoire. En effet, les facteurs de risques périnatals et la dégradation de la santé périnatale sont en constante progression, notamment en raison de :
- l’évolution des caractéristiques des femmes enceintes,
- l’importance des inégalités sociales de santé,
- les difficultés d’accès aux soins périnatals,
- l’organisation de l’offre de soins.
En 2024, partant de ce constat, la Cour des comptes et la mission sénatoriale d’information sur l’avenir de la santé périnatale ont mis en évidence l’urgence d’une nouvelle politique de périnatalité, qui nécessite :
- une réorganisation de l’offre de soins (maillage territorial en plateaux techniques) ;
- un renforcement du suivi de proximité durant la grossesse et après la naissance ;
- la création d’un registre national des naissances et de la mortalité néonatale.
L’un des objectifs principaux du rapport publié est de sensibiliser les professionnels de santé sur les précautions à prendre lors de la prise en charge de nouveau-nés pour :
- assurer une sécurité des prises en charge périnatales ;
- orienter les actions des pouvoirs publics et des acteurs de la périnatalité vers l’adoption de nouvelles actions correctrices.
Quelques constats sur les circonstances des EIGS chez les nouveau-nés
L’étude de la HAS porte sur une analyse réalisée à partir de 328 déclarations d’EIGS survenus chez les nouveau-nés sur la période du 1er mars 2017 au 27 mai 2024. Cette étude ne porte donc que sur un échantillon non exhaustif et non généralisable à l’ensemble de la population ou des soins.
Il s’agit essentiellement d’EIGS survenus dans des établissements de santé (317/328) qui se sont déroulés pendant la nuit (47%), pendant le week-end (21%), pendant un changement d’équipe (11%) ou lors d’un jour férié (3%) – périodes de vulnérabilité identifiées.
Les conséquences pour le nouveau-né d’un EIGS ne peuvent être que "graves", à savoir :
- le décès (54%),
- la mise en jeu du pronostic vital (31%),
- des séquelles importantes (15%).
Le rapport indique également que 57% des EIGS déclarés étaient évitables ou probablement évitables.
De nombreuses causes immédiates et profondes aux EIGS identifiées
La majorité des EIGS chez les nouveau-nés sont des événements liés à des facteurs organisationnels, d’équipe et de compétences professionnelles.
Les causes immédiates
Les causes immédiates ont pu être identifiées dans 282 des 328 déclarations. Il s’agit :
- d’erreurs en lien avec la prise en charge obstétricale (167/282) : retard à la gestion de l’accouchement, défaut de surveillance du rythme cardiaque fœtal (RCF)…
- d’erreurs liées aux soins ou à l’organisation des soins (41/282) : infection associée aux soins, défaut de surveillance de la technique du peau à peau…
- d’erreurs médicamenteuses (33/282) : erreur d’administration, de reconstitution, de dilution, de programmation des dispositifs d’administration et de prescription…
Enfin, il est également à noter des erreurs en lien avec une procédure interventionnelle, avec l’information ou les systèmes d’informations ou encore avec un matériel ou l’infrastructure…
Les causes profondes
S’agissant des causes profondes retrouvées, elles sont liées à de nombreux facteurs :
- aux patients (253/328) : état de santé du nouveau-né et antécédents, prématurité, malformations congénitales, faible poids… ou présence d’un diabète gestationnel ou d’une obésité chez la mère…
- à l’équipe (209/328) : communication entre professionnels, transmissions et alertes...
- aux tâches à accomplir (220/328) : application d’un protocole et définition des tâches de chacun…
- à l’environnement de travail (200/328) : charge de travail, transfert des patients, locaux, équipements et fournitures…
- aux professionnels (169/328) : stress, charge de travail, manque d’expérience…
- à l’organisation et au management (91/328) : politique de formation et ressources humaines, manque de formation concernant l’interprétation des RCF ou dans la gestion des cathéters centraux et périphériques…
- au contexte institutionnel (48/328) : politiques régionales et nationales, tension entre personnel médical et paramédical…
L'amélioration de l'anticipation des risques et de l'information des parents renforcent la sécurité des nouveau-nés
Pour la HAS, les EIGS pourraient être mieux anticipés et évités par une amélioration de la gestion des risques, de la formation et de la communication entre soignants. De ce fait, elle insiste sur la nécessité de :
- renforcer la formation initiale et continue,
- améliorer le travail en équipe,
- assurer un meilleur partage de l’information,
- protocoliser les prises en charge pour sécuriser les soins des nouveau-nés.
Les 10 préconisations de la HAS
Au terme de son analyse des causes profondes identifiées, la HAS a émis 10 préconisations s’adressant "aux professionnels de santé, aux structures de soins, aux régulateurs de l’offre de soins et au législateur". Ne sont pas reprises toutes les recommandations issues de travaux réalisés par la HAS ou d’autres structures qui restent applicables en la matière.
*
S’assurer systématiquement des compétences (techniques et non techniques) des professionnels exerçant en gynécologie-obstétrique et en pédiatrie néonatale
- Accentuation de la formation initiale et continue des professionnels de santé, notamment sur l’interprétation du RCF (critère impératif de la certification 2025, en utilisant les outils déjà existants d’aide à la décision, dont l’arbre décisionnel) et la pose des cathéters (en renforçant la formation théorique et pratique et en mettant à disposition des protocoles régulièrement mis à jour et connus de tous).
- Favoriser la méthode de simulation en santé adaptée à former et/ou maintenir les compétences techniques des professionnels (critère impératif de la certification 2025).
- Formaliser l’accueil des nouveaux arrivants, en particulier des internes et intérimaires, avec un livret d’accueil (pour que tous aient le même niveau de connaissance).
- Améliorer les compétences non techniques de manière continue pour développer la capacité d’une équipe à anticiper, récupérer, voire atténuer une situation à risque. Différents outils existent déjà : RMM, SAED, débriefing… sans oublier d’impliquer le patient dans sa prise en charge contribuant ainsi à sa propre sécurité.
Garantir l’accès de tous les professionnels de santé impliqués à l’ensemble des informations médicales nécessaires à la prise en charge des nouveau-nés et de leur mère
Pour éviter les retards, oublis ou erreurs de communication des informations médicales et/ou administratives des nouveau-nés et de leur mère, le rapport suggère une amélioration de la transmission des informations intra et interétablissements, et entre la ville et l’hôpital. Cela peut passer par :
- une formation des professionnels de santé aux systèmes d’information ;
- un complément systématique du dossier médical et des éléments sur "Mon Espace Santé",
- des systèmes d’information interopérables…
Lutter contre les erreurs diagnostiques (diagnostic retardé, erroné, manqué ou non communiqué) induisant le plus souvent des retards à la réalisation de césarienne ou dans la prise en charge des nouveau-nés
Le rapport propose de sensibiliser les professionnels de santé :
- au "fonctionnement cognitif" et à ses failles et donc à disposer de prises en charge protocolées (et non à l’intuition et à la mémoire) ;
- à l’identification des situations à risque spécifiques à l’environnement de travail ;
- à l’amélioration des conditions de travail en termes d’équipements techniques, de locaux ou encore de moyens humains suffisants…).
Une évolution du travail en équipe semble également primordiale : chaque professionnel de santé doit se sentir légitime à intervenir dans les prises de décisions collectives mais aussi à savoir attirer l’attention de ses collègues sur un risque ou une erreur en cours.
Mieux prendre en charge les grossesses et accouchements à risque
- La formation à la prise en charge et à l’anticipation des prises en charge des comorbidités de la mère (diabète gestationnel, obésité ou encore VIH…) est essentielle (causes profondes identifiées).
- De même, il convient d’appliquer des procédures formalisées et d’assurer un suivi pluridisciplinaire et individualisé des patientes et de mettre en place un parcours d’éducation thérapeutique ciblé pour réduire les risques liés.
Améliorer la prise en charge de la réanimation néonatale en maternité
Sur ce point, la HAS propose que le grade de risque des femmes enceintes soit systématiquement évalué et tracé dans le dossier médical et que chaque maternité définisse avec l’équipe pédiatrique et anesthésique les situations qui doivent donner lieu à un appel anténatal.
Comme indiqué dans le rapport, toutes les situations à risque ne peuvent pas être identifiables ni prévisibles. Il est donc important de disposer d’un personnel compétent et d’un équipement technique adéquat :
- au moins une personne sur place doit être apte à débuter, à tout moment, les gestes de réanimation ;
- la présence d’un pédiatre néonatal recommandée une fois les gestes amorcés ;
- une équipe expérimentée pouvant mener à bien l’ensemble de la réanimation, joignable 24h/24, et pouvant se rendre sur le lieu de la réanimation le plus rapidement possible.
Mieux prévenir les risques de chute et d’étouffement du nouveau-né à la maternité
Selon le rapport, l’information des parents et la surveillance des nouveau-nés, dès la suite de couches, doivent être améliorées notamment s’agissant :
- des risques de chute liés à l’endormissement de la mère lors de l’allaitement ou à un couchage inadapté dans le lit maternel ;
- de l’étouffement du nouveau-né lors de la mise en peau à peau. La mise en place de protocoles précis détaillant les modalités d’installation, de surveillance et d’information des parents avec un point de vigilance particulier sur les critères d’interruption du peau à peau est donc indispensable.
Respecter les bonnes pratiques de prise de décision des transferts in utero et périnataux
Pour sécuriser le transport des femmes sur le point d’accoucher, il est préconisé de mettre en place des cellules de régulation des transferts périnataux à l’échelle de chaque région (avec des professionnels de la santé périnatale, notamment des obstétriciens et sages-femmes) et des protocoles détaillant les modalités du transfert.
Poursuivre la sécurisation de la prise en charge médicamenteuse et de l’utilisation des dispositifs médicaux
Le rapport insiste sur :
- La nécessaire informatisation des prescriptions émanant de l’obstétrique, de la néonatalogie et de la réanimation néonatale (avec alerte logiciel d’aide à la prescription).
- La sécurisation de l’utilisation des médicaments à risque en les identifiant à chaque étape de la prise en charge et en les stockant de manière séparée…
- Le double contrôle de la préparation des médicaments considérés comme à haut risque.
- Les procédures de manipulation des dispositifs d’administration.
Cette sécurisation passe également par la mise à disposition des professionnels de matériel complet et correctement entretenu avec une traçabilité de la vérification (en particulier s’agissant des chariots et sacs d’urgence).
Renforcer la sécurité des accouchements accompagnés à domicile et des accouchements en maison de naissance
S’agissant des accouchements à domicile, il faut :
- Assurer une claire et transparente information des patientes sur les risques.
- Une formation renforcée des sages-femmes, notamment s’agissant des gestes d’urgence obstétricale et de réanimation du nouveau-né.
- Veiller aux conditions matérielles nécessaires au domicile, identifier toute pathologie maternelle et néonatale contre-indiquant l’accouchement à domicile et faire appel au SAMU en vue d’une prise en charge en urgence au domicile en cas de survenue de complications lors de l’accouchement.
En conséquence, les sages-femmes doivent s’engager dans la gestion de leurs risques et dans un processus d’amélioration de leurs pratiques.
À noter qu’en maison de naissance, la HAS a été saisie pour rédiger une recommandation de bonnes pratiques définissant les critères d’éligibilité à une prise en charge dans ces structures.
Faire évoluer le formulaire de déclaration des EIGS et améliorer la qualité des déclarations
Le rapport préconise une révision du formulaire pour pouvoir travailler sur les risques en néonatalité mais également, plus largement, en périnatalité. La création d’un registre national des naissances et de la mortalité néonatale semble primordiale.