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IA et évolution des pratiques médicales : quels impacts médico-légaux ?

IA et évolution des pratiques médicales : quels impacts médico-légaux ?

Publié le 20/05/2025

L’intelligence artificielle (IA) transforme en profondeur la pratique médicale, notamment en introduisant des usages prédictifs. Si ces innovations ouvrent de nouvelles perspectives pour les patients et les soignants, elles soulèvent également des questions médico-légales majeures. Quelle place pour les référentiels face à ces outils ? Quelle responsabilité pour le professionnel de santé ? Éclairage du Dr Thierry Houselstein, directeur médical MACSF.

 

L’IA en santé est une réalité désormais bien actée même si son appropriation au quotidien par les professionnels de santé reste hétérogène et sans doute surestimée. Néanmoins, le mouvement est en marche et les domaines d’application se multiplient. Des algorithmes sont désormais utilisés – ou tendent à l’être en routine – afin d’optimiser la pratique médicale, aider au diagnostic ou fluidifier la prise en charge des patients, permettant d’engager une réflexion sur le temps médical disponible et l’apport de ces solutions au quotidien.

Divers applicatifs permettent, par exemple, d’orienter le radiologue en routine de manière extrêmement efficace, sécurisant le diagnostic final et réduisant ainsi le risque d’erreur de lecture. Dans le domaine du diagnostic clinique, des innovations démontrent que la partie clinique peut également bénéficier de ces technologies. Ainsi, les LLM (Large Language Model) sont de plus en plus utilisés pour enrichir des questionnaires médicaux ou créer des synthèses médicales de plus en plus prisées des professionnels de santé. Certains vont plus loin en proposant d’enrichir les questionnements diagnostiques médicaux, à l’image de la solution AMIE (Automated Medical Inquiry Engine) proposée par Google Research, apportant une réelle pertinence diagnostique dans l’évaluation clinique, tout en conservant – fort heureusement ! – une « forme d’empathie » lors du recueil de l’information la plus pertinente.  

On le voit, les solutions d’IA d’aide au diagnostic et à la sécurisation des soins sont de plus en plus performantes et intègrent progressivement la pratique médicale, sous l’œil vigilant et le contrôle des professionnels de santé. 

Certaines recherches vont encore plus loin, traitant non pas le diagnostic ou l’état actuel du patient mais travaillant à des solutions visant à « prédire » ou à anticiper, notamment le traitement le plus adapté pour telle pathologie tumorale en fonction des caractéristiques anatomo-pathologiques, génétiques ou biologiques ; prédire également – ou estimer – un risque potentiel de récidive d’une lésion, ouvrant également la voie à des traitements de plus en plus personnalisés et, sans nul doute, efficaces.  

 

L’oncologie : domaine de prédilection ?  

Différents travaux, utilisant une multitude de données et des algorithmes, permettent déjà de mieux identifier certaines cellules tumorales spécifiques ou d’estimer de possibles mutations génétiques. Certains modèles vont plus loin et tentent de prévoir la réponse d’un patient à certains traitements et donc les réactions d’une tumeur à des traitements standardisés, ouvrant la voie à des thérapies spécifiques, ciblées et plus efficaces. 

L’explosion des data en santé a, en effet, créé les conditions ad hoc permettant d’établir des corrélations et d’identifier des indicateurs permettant une meilleure détection, à l’image par exemple, des données mammographiques bilatérales

Certains centres de santé portent déjà des réflexions plus globales, intégrant des solutions d’IA dans les différents aspects de la prise en charge des pathologies tumorales, tel l’IHU - Institut des Cancers des Femmes (Institut Curie), notamment via une solution d’aide au diagnostic développé par PRIMAA (Cleo Breast).  

Bien entendu, ces performances prédictives ne sont possibles qu’à partir du moment où de nombreuses données médicales sont disponibles, permettant d’alimenter et d’entraîner les algorithmes, à l’image des travaux remarquables menés par OWKIN, qui utilise l’IA pour accélérer la recherche biomédicale. 

 

Quels impacts de l’IA sur les pratiques médicales ? 

Ces nouvelles orientations visent, au final, à améliorer la prise en charge médicale, en optimisant le diagnostic mais surtout en proposant des traitements toujours plus spécifiques, performants et surtout adaptés à la pathologie et au stade de chaque patient. Il s’agit là d’une des promesses du « prédictif aidé par l’IA », à savoir anticiper l’évolution de différentes pathologies ou la réponse à un traitement afin d’adapter au mieux la stratégie thérapeutique, si possible de façon personnalisée. Ces innovations vont indiscutablement entraîner de profondes mutations dans la prise en charge d’un patient, parallèlement à une nécessaire appropriation par les professionnels de santé.  

Les professionnels de santé ont certes l’habitude des innovations. Elles font partie intégrante de leur activité, que ce soit sur le plan diagnostique ou thérapeutique. En imagerie médicale, par exemple, l’apport du scanner puis de l’IRM a été parfaitement intégré dans les pratiques quotidiennes et les arbres décisionnels, tout comme le chirurgien a adopté la cœlioscopie puis la chirurgie robotisée dans son exercice, et ce, en fonction des recommandations de bonnes pratiques. 

 

Aspects réglementaires et juridiques liés à l’usage de l’IA en santé 

D’un point de vue réglementaire et médico-légal, chaque professionnel de santé doit répondre à un certain nombre d’impératifs dans son exercice quotidien, quel que soit son domaine d’activité. Depuis le célèbre arrêt Mercier – Cour de Cassation du 20 mai 1936 – il se forme un véritable contrat entre le médecin et son patient. Il est en effet d’usage de dire que le médecin prend l’engagement, sinon bien évidemment de guérir le patient, du moins de lui donner des soins non pas quelconques mais consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science. 

Ces obligations sont reprises dans différents articles du code de santé publique (CSP), plus particulièrement les articles R 4127 – 32 et R 4127 – 33.  

En cas de mise en cause de la responsabilité d’un médecin, ces différents articles du CSP vont guider l’analyse médico-légale et expertale devant notamment répondre à la question centrale : les soins fournis ont-ils été consciencieux, attentifs et surtout conformes aux données acquises de la science ? 

Lorsque les soins font l’objet d’un consensus via des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) ou de sociétés savantes nationales ou internationales, l’appréciation reste relativement aisée dès lors que des avis experts sont sollicités et que lesdites recommandations sont claires. A situation précise, les référentiels prévoient tel ou tel traitement, dans le cadre de tel protocole de soin.  

Les progrès de l’IA, couplés à l’exploitation de données de santé en grande quantité, autorisent donc à penser que dans un avenir très proche des solutions permettront non seulement de « mieux » diagnostiquer certaines pathologies mais aussi et surtout de proposer des traitements plus adaptés aux caractéristiques propres, intrinsèques, de certaines pathologies mais également à celles du patient (et non pas d’un autre patient ou de tous les patients). La nuance est de taille bien évidemment.  

Cette forme de médecine prédictive porte en elle de nombreux espoirs, notamment en oncologie, comme en témoignent les nombreuses recherches et le foisonnement de solutions embarquant de l’IA visant à mieux prédire la réponse d’un organisme à tel traitement.  

Dès lors, dans ce cas de figure, certains pourraient considérer que l’on s’éloigne des référentiels habituels, des solutions reconnues et in fine, des recommandations ! Dans l’hypothèse où la prise en charge médicale conduirait à une mise en cause de la responsabilité du médecin ayant basé son cheminement diagnostique mais surtout thérapeutique sur de telles solutions prédictives, on peut légitimement s’interroger sur l’analyse expertale qui pourrait en découler. 

Lors d’une procédure en responsabilité médicale, l’expert va analyser la prise en charge à la lumière des recommandations reconnues et validées. Quelle pourrait être son analyse dans l’hypothèse où les propositions thérapeutiques « aidées par l’IA » s’écarteraient notablement des référentiels ou des « guidelines » ? 

Le médecin ayant eu recours à de telles solutions devra pouvoir expliquer et démontrer – traçabilité à l’appui – que le cas de M. X, porteur de telle pathologie, avec telles caractéristiques biologiques, anatomopathologiques ou génétiques, avait un réel avantage à bénéficier de tel ou tel traitement, s’écartant certes des recommandations mais pour de bonnes raisons. Sur un plan médico-légal, il n’est pas exclu que certains évoquent une possible perte de chance dès lors que l’évolution n’est pas celle attendue malgré un postulat de départ paraissant plus favorable.  

Cela renvoie néanmoins à deux interrogations complémentaires : 

  • Comment démontrer à un expert que notre choix thérapeutique a été guidé par une solution d’IA apportant une réelle plus-value pour le patient, dans un cas très précis ? 
  • Comment être certain que l’expert puisse analyser correctement l’apport de cet avis de « nouvelle génération » ? 

Cela sous-entend que le médecin en charge du patient a conservé un document (ou tout autre élément numérique) retraçant le recours ou l’utilisation de la solution d’IA et surtout des conclusions proposées que l’on imagine discutées en responsabilité civile professionnelle (RCP) de manière habituelle. Un document (ou élément numérique) synthétisant les propositions sera annexé au dossier médical du patient, lequel sera informé de manière transparente des solutions proposées, des avantages et des risques encourus.  

Cela sous-entend également que l’expert soit en capacité d'analyser, d’interpréter et de tirer les conclusions qui s’imposent dans le cadre de l’utilisation de ces solutions innovantes, pouvant s’écarter des référentiels ou des recommandations habituelles. 

L’IA en santé se développe très rapidement et les aspects prédictifs rendus possibles par de telles solutions vont également s’accélérer. L’appropriation par les médecins sera bien entendu à observer mais celle-ci devrait être très forte, tant les bénéfices attendus par les patients semblent importants. 

 

Le rôle de l’assureur des professionnels de santé  

La MACSF, assureur des professionnels de santé, se doit également de s’intéresser très fortement à ce sujet dès lors qu’il impacte les pratiques médicales mais aussi et surtout la qualité des soins, avec un potentiel risque médico-légal.  

Face à une telle innovation – dont on pressent l’accélération et surtout une forte appropriation par les soignants – l’assureur des professionnels de santé doit envisager les risques médico-légaux possibles et accompagner au mieux ses assurés dans ces évolutions.  

Cela passe tout d’abord par une bonne connaissance de l’écosystème de l’IA et des solutions proposées. C’est pour cette raison que la MACSF s’est dotée – depuis 2018 – d’un comité innovation santé lui permettant d’accompagner, de différentes façons, des start-up en santé, notamment celles ayant recours à des solutions d’IA. La MACSF a ainsi accompagné près d'une vingtaine de start-up en santé, dont OWKIN, afin de mieux appréhender les évolutions impactant le monde de la santé et d’être en mesure d’accompagner ses assurés au travers de ces transformations, notamment en sécurisant leur activité professionnelle.  

L’utilisation de l’IA en santé, notamment dans sa composante « prédictive » est en pleine croissance, les tendances étant extrêmement prometteuses, tant pour les patients que les médecins. Ces évolutions vont sans nul doute entraîner une modification des organisations mais surtout des pratiques, allant vers davantage de personnalisation des traitements, notamment en oncologie. Ces évolutions ne dispenseront pas les professionnels de santé de leurs obligations réglementaires et juridiques – bien au contraire – et il importe que ceux-ci intègrent dès à présent les notions de traçabilité et surtout d’information, sans doute renforcée, à ces nouvelles pratiques. Parallèlement, il semble indispensable que les experts médico-légaux suivent également de très près ces évolutions et leurs impacts éventuels par rapport aux recommandations usuelles ou référentiels à un instant T.  

L’assureur des professionnels de santé poursuivra sa mission d’accompagnement auprès des professionnels de santé. 

 

Le mot de Sébastien Couvet, gérant de portefeuille à la MACSF 

« La MACSF accompagne très concrètement l’innovation en santé depuis 2018 en investissant dans différentes start-up proposant des solutions novatrices, souvent basées sur de l’IA, à l’image de OWKIN, SYNAPSE ou GLEAMER. Notre connaissance du monde de la santé et la qualité de nos partenaires financiers facilitent un sourcing de qualité mais surtout nous permettent ensuite de partager ces évolutions avec nos assurés professionnels de santé, dans un cercle vertueux. L’ensemble des collaborateurs MACSF appréhende ainsi les évolutions et surtout les impacts potentiels sur les pratiques médicales ».