Une femme qui accouche seule à la maternité
Une femme se présente à la maternité d’une clinique, à 10 h du matin, pour rupture spontanée des membranes à 35 semaines +6 jours d’aménorrhée.
À 10h30, une anesthésie péridurale est posée, suivie d’une réinjection à 11h45. À 12h09, la mère donne naissance à son enfant seule, en l’absence du père parti chercher de l’aide, compte tenu de l’accélération soudaine du travail.
En état de détresse respiratoire, le nouveau-né est immédiatement pris en charge et admis en service de néonatalogie, où il connaîtra une évolution tout à fait favorable. Il ne conserve aucune séquelle des conditions de sa naissance.
Considérant que la responsabilité de la sage-femme et de la clinique est engagée et invoquant un préjudice moral et corporel (consistant en des troubles dépressifs réactionnels du fait du sentiment d’abandon pendant l’accouchement), les parents portent l’affaire devant la juridiction civile.
Un accouchement sans aide malgré un effectif suffisant
Le juge commence par constater que l’effectif présent le jour de cet accouchement sans aide était conforme aux exigences réglementaires posées par l’article D.6124-44 du code de la santé publique (CSP) pour un établissement pratiquant 3 600 accouchements par an, comme c’était le cas en l’espèce.
En effet, cet effectif était composé de :
- deux obstétriciens (un sur place et un d’astreinte),
- d’une sage-femme et d’une infirmière pour les deux blocs de césarienne,
- de trois sages-femmes pour les six salles d’accouchement,
- d’une sage-femme pour l’accueil des parturientes,
- d’une auxiliaire de puériculture pour l’accueil des nouveau-nés,
- d’un anesthésiste,
- d’un pédiatre.
Aucune faute n’est donc retenue au titre d’une insuffisance de moyens en personnel.
Une surcharge d’activité ponctuelle, "circonstance atténuante"
Le juge relève ensuite que l’équipe a dû faire face, à la mi-journée, "à une suractivité particulièrement importante", avec sept femmes en travail simultané et quatre accouchements réalisés entre 11h55 et 12h29, dont celui de la plaignante.
Il détaille les nombreuses prises en charge qu’ont dû réaliser les différents membres de l’équipe en un laps de temps court.
Il précise enfin que, s’agissant de la parturiente, sa grossesse avait été normale, et que si le travail avait été excessivement rapide, la présence d’un obstétricien ne s’imposait pas, en l’absence de modifications du rythme cardiaque fœtal.
Ainsi, dans ce contexte de "suractivité importante de la maternité lors de l’accouchement, de l’impossibilité de réguler une activité d’urgence telle que l’obstétrique, du déroulement jusqu’alors normal de la grossesse et de l’extrême rapidité, non prévisible, de son travail, l’absence de médecin et/ou de sage-femme auprès de celle-ci au moment de l’accouchement et dans la demi-heure qui a précédé ne peut, même s’il aurait été préférable que l'intéressée n'affronte pas seule ce moment critique dont l'expert judiciaire indique qu'il peut être considéré comme une urgence obstétricale, être imputée à la clinique, que ce soit au travers d'un défaut d'organisation du service ou de continuité des soins ou au travers d'une mauvaise appréciation de la situation d'urgence par son personnel paramédical".
Les parents sont donc déboutés de leur demande.
Que retenir de cette affaire ?
De prime abord, on aurait pu tenir pour acquis qu’un tel incident – femme accouchant seule en salle de naissance, sans aucune assistance – aurait pu engager la responsabilité de la clinique et du personnel, au titre d’une organisation défaillante.
Mais cette décision illustre l’importance de la prise en considération de la particularité des faits par le juge pour trancher le litige.
En l’espèce, le pic d’activité important auquel le personnel s’est trouvé confronté a constitué une sorte de "circonstance atténuante", ceci d’autant plus que l’effectif en personnel prévu répondait parfaitement aux normes réglementaires.
Nul doute que la décision aurait été différente si l’effectif avait été insuffisant, si l’activité du service avait été normale, mais aussi, peut-être, si l’enfant avait conservé des lourdes séquelles…