De l'hyperthyroïdie biologique à l'apparition d'une maladie de Basedow sous apports iodés
Un médecin généraliste prescrit à une patiente des dosages hormonaux dans un contexte d’asthénie, de sensation d’hyperthermie permanente, associées à un amaigrissement non chiffré. Ces dosages montrent une hyperthyroïdie fruste sans élévation des hormones libres. Aucune cause n’est identifiée après réalisation d’une échographie thyroïdienne, de dosages d’anticorps anti récepteurs de la TSH, anti-TPO et anti thyroglobuline.
Un dosage d’iodurie retrouve une carence iodée modérée à 21 µg/jour pour une norme entre 100 et 200 et un traitement par un comprimé journalier de Thyrovance est prescrit (complément alimentaire comprenant 150 µg d’iode).
Le statut iodé reste déficitaire après quatre mois (59 µg/jour) malgré ce traitement, pour finalement aboutir à une surcharge iodée (350µg/jour).
Un avis endocrinologique est demandé. Le spécialiste n’est pas informé de ce traitement qui sera poursuivi huit mois en tout, alors que l’hyperthyroïdie devient cliniquement plus importante avec franche élévation de la T4 libre et apparition d’anticorps anti récepteurs de la TSH.
Le diagnostic de maladie de Basedow est ainsi établi, conforté par une hyperfixation homogène à la scintigraphie. Un traitement par antithyroïdien de synthèse est débuté.
La maladie de Basedow sera toujours traitée trois ans plus tard. Elle s’accompagne d’une orbitopathie sévère active, qui nécessitera 9 bolus de corticoïdes lors d’hospitalisations, avec une atteinte ophtalmologique non stabilisée.
Un traitement chirurgical ophtalmologique est discuté selon l’évolution ainsi qu’une thyroïdectomie totale.
La patiente reproche un manque d’informations sur le complément alimentaire prescrit et suppose un lien avec sa maladie de Basedow et ses conséquences.
Diagnostic étiologique d'une hyperthyroïdie
La cause la plus fréquente d’hyperthyroïdie est la maladie de Basedow (3/4 des hyperthyroïdies), avec une prédominance féminine (1 homme atteint pour 6 femmes).
Les autres causes d’hyperthyroïdie
- Nodules thyroïdiens hypersécrétants autonomes (goitre multinodulaire toxique, adénome toxique).
- Hyperthyroïdies iatrogènes incluant les surcharges iodées.
- Thyroïdite subaiguë de De Quervain.
- Thyrotoxicose gestationnelle transitoire.
Le diagnostic étiologique d’une hyperthyroïdie est orienté par l’examen clinique
- Manifestations extra thyroïdiennes, en particulier ophtalmologiques, dans la maladie de Basedow.
- Palpation de goitre ou nodules.
- Notion de prise de médicaments iodés (amiodarone en particulier) ou d’injection de produits de contraste.
- Contexte viral avec douleurs cervicales antérieures pour la thyroïdite de De Quervain.
Des dosages d’anticorps anti-récepteurs de la TSH et une échographie thyroïdienne suffisent à poser le diagnostic dans la plupart des cas.
Si ces examens ne sont pas contributifs
Ils peuvent être complétés par une scintigraphie thyroïdienne afin de rechercher, entre autres, une maladie de Basedow à anticorps négatifs ou une autonomie thyroïdienne.
Le dosage d’iodurie, non remboursé par la sécurité sociale, peut être utile au diagnostic de surcharge iodée et éviter une scintigraphie thyroïdienne d’emblée, mais une valeur basse d’iodurie n’apporte rien au diagnostic ou à la prise en charge thérapeutique. Les anticorps antiTPO, anti thyroglobuline, la thyroglobuline et la CRP peuvent compléter le bilan.
Une surcharge iodée importante (déterminant des valeurs d’iodurie se mesurant habituellement en mg/l, soit 10 fois plus que la normale, le taux physiologique s’établissant entre 100 et 200 µg/jour) peut déterminer une hyperthyroïdie importante et prolongée.
Quels enseignements tirer de cette affaire ?
L’hyperthyroïdie constatée initialement était fruste ou subclinique.
L’endocrinologue n’avait pas prescrit de scintigraphie thyroïdienne, ni préconisé de traitement par anti thyroïdien de synthèse. Cette pratique peut se justifier, l’hypothèse d’une hyperthyroïdie transitoire spontanément régressive étant toujours possible, l’approfondissement du bilan étiologique et la prescription d’un traitement spécifique ne se décidant qu’en cas d’évolution vers une hyperthyroïdie plus franche ou prolongée.
Toutefois, l’apport d’iode dans cette situation n’est pas adapté. Les apports iodés prescrits sous forme de compléments alimentaires correspondaient à la limite supérieure des valeurs conseillées (150 µg/jour). La surcharge iodée qui en a découlé était modérée (iodurie à 350µg/j).
Enfin, la fixation à la scintigraphie thyroïdienne était augmentée, démontrant que le mécanisme prépondérant de l’hyperthyroïdie n’était pas la surcharge iodée mais la maladie de Basedow.
L’apport d’iode dans ce contexte a pu majorer l’expression de l’hyperthyroïdie.
La prise en charge a donc été considérée comme non conforme aux données de la science sur les points suivants :
- Prescription inadaptée de compléments alimentaires à base d’iode pour une hyperthyroïdie dont l’étiologie n’a pas été établie.
- Non communication de cette prescription au spécialiste à qui avait été adressée la patiente.
- Défaut d’information au sujet des risques de la prise de compléments alimentaires à base d’iode.
Les conséquences de ces manquements ont entraîné une majoration probable de l’expression de l’hyperthyroïdie. Par contre, la maladie de Basedow n’a pu être imputée à cette surcharge iodée.
La preuve de l'étiologie doit être apportée pour toute hyperthyroïdie persistante, même fruste.
La prescription de compléments alimentaires doit faire l’objet d’informations au patient sur leurs risques et doit être signalée comme traitement, la responsabilité du prescripteur pouvant être engagée au même titre que la prescription d’un médicament en cas d’effets secondaires indésirables.
Références
Maladie de Basedow : introduction, épidémiologie, facteurs pathogéniques endogènes et environnementaux J-L Wémeau et coll Annales d’Endocrinologie 2018 (79) numéro 6 pages 599-607
Avis anses saisine 2017 - SA-0086 rendu le 25/06/2018
Iode, anses, mis à jour le 06/03/2019