La responsabilité conjointe en implantologie
L’implantologie est une technique complexe qui peut faire appel à une prise en charge pluridisciplinaire, à savoir : un chirurgien implantaire qui procède à la mise en place des implants, un chirurgien-dentiste prothésiste qui réalise la partie prothétique et éventuellement, en cas de greffe osseuse pariétale, un chirurgien maxillo-facial.
Dans le cas d’une réalisation thérapeutique effectuée par plusieurs praticiens, ce qui est très souvent le cas, il est indispensable que les différents intervenants définissent d’un commun accord un plan de traitement global, après consultation du patient.
Avant de débuter le traitement, les praticiens doivent se mettre d'accord sur la conception et la réalisation, chacun définissant son domaine d'intervention (chirurgie pré-prothétique, implant, prothèse sur implant) pour ensuite déterminer qui assurera le suivi thérapeutique.
Cette notion de collaboration étroite impliquera une responsabilité qui sera ou non partagée entre les différents praticiens.
Suivant la mission des magistrats, le rôle de l’expert judiciaire sera de déterminer la part de responsabilité de chacun des intervenants.
C’est ce que nous allons voir au travers d’un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 19 décembre 2013 au terme duquel les juges retiennent une responsabilité "conjointe" des deux praticiens qui ont mis en place un projet implantaire compte tenu du partenariat défaillant qui a entraîné l'échec du traitement.
Mise en cause civile à la suite à un échec implantantaire
Une patiente consulte un praticien qui lui pose des implants sous anesthésie locale en remplacement de sa prothèse amovible supérieure.
Invoquant des suites opératoires lourdes, qui ont abouti au retrait ou à la perte des implants remplacés par une nouvelle prothèse amovible, la patiente assigne son chirurgien-dentiste en référé-expertise.
Soins non conformes aux données acquises de la science selon l’expert
À l’issue d’une expertise judiciaire, l’expert conclut que les soins prodigués ont été attentifs, diligents mais n’ont pas été conformes aux données acquises de la science médicale.
Il considère que l’erreur essentielle "a été de ne pas avoir suffisamment étudié son cas clinique, de ne pas avoir suffisamment poussé les examens préopératoires qui devaient le conduire soit à refuser d’intervenir, soit à ne le faire qu’après avoir procédé au préalable à un comblement partiel du sinus de sa patiente".
Selon lui, l’examen de tomodensitométrie préalable en trois dimensions aurait permis d’évaluer avec suffisamment de précision l’épaisseur d’os dans la région concernée.
Il précise que les lésions consécutives à cette erreur thérapeutique se résument à une perte d’os alvéolaire au niveau des sites concernés mais qu’il existait toutefois un état antérieur d’édentation partielle dont il faut tenir compte.
La patiente assigne le praticien au fond pour solliciter la liquidation de son préjudice. Ce dernier conteste les conclusions de l’expert quant à l’absence de conformité aux données acquises de la science, qu’il estime définies à partir de données postérieures aux soins, mais également en ce qui concerne un prétendu manquement au devoir d’information.
Responsabilité conjointe par moitié selon les juges
En 1re instance
Le tribunal de Grande Instance de Versailles, par une décision du 20 mars 2008, déboute la patiente de ses demandes, considérant qu’il ressort des explications du praticien que les données "actuelles" de la science imposaient la réalisation d’un examen scanner en trois dimensions pour apprécier la hauteur de l’os au moment où l’expert a effectué ses opérations (juin/juillet 2005). Mais celui-ci n’a, à aucun moment, précisé quelles étaient les données "acquises" de la science à la date de l’intervention, soit neuf ans auparavant.
Compte tenu de la rapidité de l’évolution en matière de technologie et d’imagerie médicale, la preuve n’est pas rapportée que le praticien ait manqué à son obligation de donner des soins conformes aux données acquises de la science à la date de l’intervention.
Le tribunal précise par ailleurs que, même si le praticien ne peut démontrer qu’il a respecté son obligation d’information, sa patiente ne peut prouver qu’elle aurait refusé cette intervention si elle avait été informée du risque qui s’est réalisé et la déboute de ses demandes.
En appel
La Cour d’appel, par un arrêt du 17 décembre 2009, ordonne une nouvelle expertise, confiée à un collège d’experts, considérant qu’il existe des contradictions entre les conclusions du rapport d’expertise judiciaire et l’avis médical d’un expert qui n’émet aucune réserve sur la prestation réalisée. Elle sursoit à statuer sur l’ensemble des demandes de la patiente.
Parallèlement, le praticien assigne en intervention forcée le chirurgien-dentiste qui est intervenu pour la pose des prothèses sur implants.
Selon les experts, les soins et actes n’ont pas été conformes aux données acquises de la science médicale. Ils reprochent un manque de précaution dans la démarche thérapeutique, avec une insuffisance d’examen et une absence de projet thérapeutique entre les deux praticiens. Ils considèrent qu’il existe un manque de concertation et de coordination clinique de l’indication opératoire lors de la mise en place de la prothèse implanto-portée.
Ils concluent à une responsabilité conjointe par moitié "compte tenu du partenariat thérapeutique défaillant qui a engendré l’échec implantaire" et imputent aux deux praticiens le remboursement des honoraires versés, déduction faite des prestations versées par les organismes sociaux et des souffrances endurées, évaluées à 2/7.
La Cour d’appel, par un arrêt du 19 décembre 2013, homologue les conclusions du collège d’experts et retient la responsabilité conjointe des deux praticiens dans l’échec du traitement implantaire.
Concernant le chirurgien implantaire
Celui-ci a commis des manquements au stade de la préparation (absence d’examens préopératoires, de modèle d’étude préliminaire bi-maxillaire, de wax up), a manqué de prudence dans l’appréciation des volumes osseux et n’a pas respecté son devoir d’information (absence de devis et d’information sur les risques envisageables).
Concernant le praticien qui a posé la prothèse
La Cour s’appuie sur les conclusions des experts pour retenir un manquement de concertation dans le cadre d’un projet thérapeutique et applique une responsabilité par moitié.
La Cour alloue
- 2 000 € au titre des souffrances endurées,
- 1 000 € au titre du défaut d’information,
- 1 350 € au titre du préjudice moral lié à "la déception subie à la suite de l’échec du traitement".
Elle sursoit à statuer sur la demande portant sur les dépenses de santé actuelles dans l’attente d’un devis de réhabilitation.
Ce qu’il faut retenir
Cette notion de collaboration étroite implique une responsabilité partagée entre les intervenants pour défaut de concertation et de coordination technique.
En l'espèce, les deux praticiens n'ont pas eu de projet thérapeutique commun et ont agi chacun de leur côté. La Cour applique donc un partage de responsabilité par moitié.