Un diagnostic erroné de polyarthrite rhumatoïde
Une patiente âgée de 50 ans, diabétique depuis 11 ans, est prise en charge pour un médio pied gauche douloureux avec recrudescence nocturne, inflammation depuis 2 mois, pied plat, boiterie et synovite.
Le bilan biologique retrouve un facteur rhumatoïde positif, mais pas de syndrome inflammatoire ni de positivité des anticorps anti CCP ou ACPA. Le scanner décrit des signes radiologiques en faveur d'un processus arthritique localisé essentiellement au niveau de l'articulation de Lisfranc. L’IRM note :
- un œdème marqué,
- une désorganisation architecturale du tarse antérieur avec importante déformation du médio pied, qui présente un affaissement complet, une inversion de la voûte plantaire refoulant les tendons fléchisseurs en arrière ainsi que l’aponévrose plantaire.
Sur ces éléments, un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde est posé. Au plan thérapeutique, devant l’inefficacité de la prednisolone prescrite, un traitement par méthotrexate est entrepris, puis une infiltration de corticoïde pratiquée, sans succès, conduisant à la prescription d’antalgiques opiacés.
Un diagnostic rectifié de pied de Charcot diabétique
La survenue d’une subocclusion avec décompensation du diabète nécessite une hospitalisation, au cours de laquelle est évoqué un possible pied de Charcot diabétique, d’autant qu’il existe une neuropathie diabétique.
Il est alors décrit par le clinicien une plante du pied gauche œdématiée, inflammatoire, avec effondrement de la voûte plantaire. Toutefois, la scintigraphie conclut à une localisation évocatrice de polyarthrite rhumatoïde avec un aspect très érosif au niveau du Lisfranc.
La patiente est alors adressée en service hospitalo-universitaire pour avis sur la mise en route d’une biothérapie face à cet échec thérapeutique avec persistance des douleurs : le diagnostic est redressé et il est conclu à un pied de Charcot subaigu sur un diabète mal équilibré.
Neuf mois d’immobilisation plâtrée, puis résine seront nécessaires avec suivi typique d’un pied de Charcot alternant consultations de diabétologie, de médecin rééducateur fonctionnel. Des chaussures sur mesure seront ensuite confectionnées. Une composante dépressive émaillera l’évolution.
Le point sur le pied de Charcot diabétique
Le pied de Charcot se définit comme une atteinte osseuse et/ou articulaire progressive indolore, secondaire à une neuropathie sous-jacente.
Si le diabète représente la première étiologie de pied de Charcot, il en existe de nombreuses autres : tabes, syringomyélie, SEP, alcoolisme, myélome, arthrite rhumatoïde, lèpre, lésions nerveuses périphériques.
Le risque principal est la survenue d’une plaie du pied sur des déformations qui peuvent être majeures, avec un risque d'amputation du membre inférieur de 25%.
Les symptômes
Le pied de Charcot débute par une phase aiguë ou active caractérisée par la survenue brutale d'un œdème érythémateux du pied ou de la cheville, unilatéral, légèrement douloureux, avec augmentation de la température cutanée par rapport au pied controlatéral.
Un traumatisme mineur est mentionné par le patient dans 25–50% des cas et il n'y a habituellement ni fièvre ni syndrome inflammatoire biologique franc, ce qui élimine une infection.
Le diagnostic
Le pied de Charcot en phase aiguë est une urgence diabétologique nécessitant un diagnostic rapide et une immobilisation du membre atteint.
Le diagnostic différentiel des manifestations cliniques de la phase aiguë est large. Il inclut la goutte, l’arthrite, l’ostéite, la cellulite, la thrombose veineuse profonde, l’algoneurodystrophie et les fractures.
La phase chronique
Elle correspond à une phase de coalescence puis de reconstruction osseuse avec "refroidissement clinique". Son délai de survenue et son stade de gravité dépendent de la prise en charge initiale en phase aiguë.
La présence de déformations du pied peut entraîner des ulcérations cutanées sur les points d'appui exagérés, avec degré variable de séquelles ostéoarticulaires irréversibles, jusqu'à la forme historique d'effondrement du médio-pied.
Quels enseignements tirer de cette affaire
Le diagnostic de polyarthrite fait initialement était tout à fait envisageable devant une mono arthrite destructrice, ce d’autant qu’une positivité du facteur rhumatoïde était documentée. Mais le diagnostic aurait dû être remis en cause en raison :
- de l’absence de syndrome inflammatoire,
- de la négativité des anticorps anti CCP ou ACPA,
- de l’absence d’atteinte des têtes métatarsiennes contrastant avec la déformation du pied même si la conclusion de l’examen scintigraphique évoquait le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde.
Il a donc été considéré que les actes de soins prodigués n’ont pas été conformes aux règles de l’art, le diagnostic n’ayant pas été remis en question suffisamment tôt.
L’expert a cependant admis que les conséquences de ce retard diagnostique, estimé à 8 mois, sont mineures dans les dommages corporels présentés qui relèvent essentiellement de l’évolution d’un pied de Charcot diabétique.
Si la part d’AIPP attribuable à ce retard dans ce dossier est relativement modeste, des souffrances endurées, un préjudice esthétique temporaire, un déficit fonctionnel temporaire, une perte de gains professionnels ont été retenus par l’expert.
Nos conseils
Tout pied neuropathique devenant œdématié, chaud, douloureux, ou rouge, doit faire évoquer en priorité un pied de Charcot en phase aiguë chez une personne vivant avec un diabète.
Il est donc fondamental que cette hypothèse diagnostique soit tracée dans le dossier du patient diabétique consultant pour ce motif.