Une ponction et une infiltration suivies d’une infection
Un patient subit une ponction d’épanchement synovial et une infiltration de corticoïdes en 2006, au cabinet d’un rhumatologue.
Dans les suites, il présente une infection à staphylocoque doré que la CCI, saisie par le patient, considère comme une infection nosocomiale indemnisable par l’assureur du rhumatologue, qui n’a de plus pas mis en œuvre le traitement curatif adapté.
L’expertise met en évidence que le praticien n’a pas respecté la procédure d’antisepsie en cinq temps préconisée par la HAS dans ses recommandations publiées en 2007, se bornant à n’en réaliser que deux.
L’assureur du praticien refuse néanmoins de formuler une offre en faveur du patient. L’ONIAM se substitue pour l’indemnisation, puis exerce un recours à l’encontre de l’assureur.
En première instance, le Tribunal de grande instance rejette la demande de l’ONIAM, en considérant que le médecin n’a commis aucune faute, ni dans la réalisation de l’infiltration, ni dans la prise en charge de la complication. L’ONIAM interjette alors appel.
La Cour d’appel, par un arrêt du 7 mars 2018, infirme le jugement et retient l’entière responsabilité du rhumatologue.
Un conflit entre plusieurs recommandations successives et contradictoires
Différentes recommandations et publications successives sont susceptibles de s’appliquer à cette affaire et sont invoquées par les parties en cause :
- L’ONIAM produit le "guide des bonnes pratiques pour la prévention des infections liées aux soins réalisés en dehors des établissements de santé" et le "guide de prévention des infections liées aux soins réalisés en dehors des établissements de santé", tous deux publiés sous l'égide de la Direction Générale de la Santé (DGS) en janvier 2004 et janvier 2006.
- Ces guides prescrivaient, selon le type d'acte invasif à effectuer, soit une antisepsie en deux temps pour les prélèvements sanguins et les injections intra-musculaires, sous-cutanées, intradermiques et intraveineuses, soit une antisepsie en 5 temps pour les gestes invasifs à plus haut risque comme celui réalisé (pose d'un cathéter veineux périphérique, ponction ou infiltration dans une cavité stérile, acte de petite chirurgie, pose d'une sonde urinaire). Les pratiques décrites dans ces guides ont été entérinées par la suite, en juin 2007, par les "Recommandations de bonnes pratiques en matière d’hygiène et prévention du risque infectieux en cabinet médical ou paramédical" de la HAS.
- Le rhumatologue produit de son côté les recommandations de la Société suisse de Rhumatologie et de médecine physique et rééducation concernant les injections effectuées par les médecins spécialistes de l’appareil locomoteur, éditées en 2005, et qui préconisaient une désinfection en seulement deux temps. Il considère qu’à l’époque des faits, en 2006, seules ces recommandations étaient applicables.
Sur la valeur des recommandations de la HAS
La Cour rappelle que les recommandations de bonne pratique élaborées par la HAS ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en œuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édition.
Elles sont opposables aux professionnels de santé qui doivent prodiguer des soins conformément aux données acquises de la science.
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Pour autant, dans cette affaire en particulier, la Cour refuse de caractériser une faute de la part du professionnel de santé consistant à ne pas avoir respecté les préconisations de la HAS, car les recommandations n’ont été publiées que postérieurement à l'acte médical litigieux.
Cela laisserait penser que seules sont recevables les recommandations déjà existantes à la date où les soins sont pratiqués.
À noter cependant qu’un arrêt de la Cour de cassation du 5 avril 2018, donc postérieur à l’arrêt de la Cour d’appel de Pau, semble retenir une solution contraire : des recommandations postérieures de trois mois aux faits ont été admises comme constituant des règles de l’art.
Sur la valeur des publications des sociétés savantes
La Cour donne raison à l’ONIAM en considérant que les bonnes pratiques de l’époque étaient celles décrites dans les documents établis par la DGS dès 2004.
Dans cette affaire, les juges relèvent que :
- la publication s’est faite sous l’égide de la Société Française d'Hygiène Hospitalière ;
- avec un groupe de pilotage pluridisciplinaire comprenant des praticiens et des spécialistes éminents ;
- et par l'intermédiaire du ministère de la Santé, ce qui en a garanti la diffusion et l'opposabilité aux professionnels de santé concernés, dont notamment les rhumatologues.
- Enfin, le praticien ne verse aux débats aucun élément de preuve d’une pratique ou d’une doctrine contraire, de nature à les remettre en cause.
Au regard de ces données, le praticien a donc commis une faute en se contentant d’une désinfection en deux temps.
Que retenir de cette affaire ?
- Les recommandations de la HAS peuvent constituer des règles de l’art ou des données acquises de la science, dès lors qu’elles sont antérieures aux faits litigieux. Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 5 avril 2018, il est même admis qu’il en soit de même pour les recommandations publiées postérieurement, sous certaines conditions.
- Les publications des sociétés savantes peuvent également être considérées comme des données acquises de la science, à condition de présenter certaines garanties de fiabilité quant à leur auteur et leurs moyens de diffusion et de ne pas être contredites par des publications d’une fiabilité équivalente.
Dans cette affaire, le fait qu’elles aient été "entérinées" par la DGS a sans doute joué un rôle dans l’appréciation des juges.
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