Interruption des soins par le kinésithérapeute : que disent les textes ?
Deux articles du code de la santé publique traitent de l’interruption de soins.
L’article L.1110-3 pose le principe de la continuité des soins
Cet article s’adresse à tous les professionnels de santé, quelle que soit leur profession.
"Aucune personne ne peut faire l'objet de discriminations dans l'accès à la prévention ou aux soins. Un professionnel de santé ne peut refuser de soigner une personne (…). Hors le cas d'urgence et celui où le professionnel de santé manquerait à ses devoirs d'humanité, le principe énoncé au premier alinéa du présent article ne fait pas obstacle à un refus de soins fondé sur une exigence personnelle ou professionnelle essentielle et déterminante de la qualité, de la sécurité ou de l'efficacité des soins. La continuité des soins doit être assurée quelles que soient les circonstances, dans les conditions prévues par l'article L.6315-1 du présent code."
L’article R.4321-92 précise les conditions pour les kinésithérapeutes
Cet article comporte tous les éléments pour cerner les droits et devoirs du kinésithérapeute lorsqu’il souhaite interrompre le suivi d’un patient.
"La continuité des soins aux patients doit être assurée. Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, le masseur-kinésithérapeute a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S'il se dégage de sa mission, il en avertit alors le patient et transmet au masseur-kinésithérapeute désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins."
Le code de la santé publique affirme donc le principe de la continuité des soins, auquel il ne peut être dérogé que sous conditions.
Tous les motifs d'interruption des soins ne sont pas valables !
Les motifs de l’interruption peuvent être tant professionnels que personnels (par exemple si la confiance est rompue avec le patient).
En revanche, les textes sont clairs sur le fait que l’interruption des soins n’est possible que hors :
- situation d’urgence,
- manquement aux devoirs d’humanité,
- motifs discriminatoires : par exemple à raison de l’appartenance à une ethnie, une religion, ou des raisons tenant à une situation de handicap, etc.
Les conditions à respecter en cas d'interruption des soins
L’article R.4321-92 du code de la santé publique énonce ces conditions. S’il se dégage de ses missions, le kinésithérapeute doit :
- avertir le patient,
- transmettre au kinésithérapeute qui prend la suite les informations utiles à la poursuite des soins.
Quant à l’article L.1110-3, qui s’adresse indistinctement à tous les professionnels de santé, il fait expressément référence à l’article L.6315-1 qui impose au professionnel souhaitant interrompre les soins d’indiquer à ses patients le confrère auquel ils pourront s'adresser.
Orienter vers des confrères : une obligation parfois sévèrement appréciée
Nous l’avons vu, le kinésithérapeute qui interrompt un suivi doit fournir à ses patients la liste d’autres kinésithérapeutes susceptibles de prendre sa suite.
Dans certains contextes particuliers, cette obligation peut être appréciée de façon exigeante. Exemple avec une décision de la Chambre disciplinaire nationale du Conseil de l’Ordre des kinésithérapeutes du 27 décembre 2024.
Dans cette affaire, un enfant atteint de polyhandicap, entièrement dépendant d’aides extérieures, était suivi depuis 7 ans par un kinésithérapeute, à raison de 3 séances par semaine. Celui-ci avertit la famille par courriel du fait qu’il ne pourra poursuivre les soins, pour une raison qui n’est pas mentionnée dans la décision. Il communique les coordonnées de deux cabinets situés dans un périmètre géographique raisonnablement proche et équipés d’une installation de balnéothérapie, indispensable pour le suivi de cet enfant. Les parents forment une plainte devant le Conseil de l’Ordre car ils estiment que le kinésithérapeute n’a pas satisfait à ses obligations. Il s’est en effet avéré que les deux cabinets conseillés ne pouvaient pas prendre l’enfant en charge.
La chambre disciplinaire nationale inflige un avertissement au kinésithérapeute.
Elle rappelle que l’état de santé de l’enfant imposait une prise en charge importante, "à laquelle il était objectivement difficile aux parents de l’intéressé d’accéder, en raison de l’insuffisance des réponses institutionnelles correspondant à leurs attentes et à la situation de leur enfant".
Dans ce contexte particulier, il n’était pas pertinent de se limiter à communiquer les coordonnées de deux cabinets de confrères, "sans s’assurer lui-même de leur disponibilité et de leur capacité à prendre en charge un patient atteint de nombreuses pathologies. Au regard de la situation du jeune C. Y. et de son exceptionnelle vulnérabilité, en s’abstenant d’accompagner les recherches utiles à ce dernier, M. X (…) a manqué à son devoir d’humanité envers son patient et méconnu, à ce titre, les dispositions de l’article R.4321-92".
Que retenir de cette décision ?
Cette décision apprécie sévèrement le comportement du kinésithérapeute, dont les raisons étaient a priori valables et qui avait pourtant pris soin, conformément aux textes :
- de prévenir la famille de sa décision d’interrompre les soins,
- de communiquer des coordonnées de kinésithérapeutes pratiquant la balnéothérapie, essentielle à la prise en charge de l’enfant.
Malgré ces démarches, un avertissement lui a été infligé.
Faut-il en déduire que les obligations du kinésithérapeute vont jusqu’à contacter les confrères dont il a fourni les coordonnées, pour s’assurer de leur disponibilité ? Ce serait, en soi, une bonne pratique, mais il ne nous semble pas que la décision en pose le principe général.
Ici, la chambre disciplinaire de l’Ordre a bien pris soin de préciser que "l’obligation de concourir à la continuité des soins à laquelle le patient a droit doit tenir compte, d’une part, de la situation de ce dernier et, d’autre part, des conditions effectives dans lesquelles la poursuite de sa prise en charge pourra être assurée, le cas échéant, par une structure adaptée ou par un autre professionnel". Elle a également insisté particulièrement sur le manque de solutions institutionnelles pour la prise en charge très spécifique de cet enfant. On peut donc supposer que la sévérité de la décision s’explique par ce caractère très spécifique lié au polyhandicap de l’enfant.
Notre conseil
Dans un contexte de pénurie de kinésithérapeutes, le fait de donner aux patients les coordonnées de confrères ne garantit pas que leur prise en charge pourra être assurée : en effet, de plus en plus de professionnels n’acceptent pas de nouveaux patients.
Il peut être prudent de s’assurer au préalable de la disponibilité de ces confrères, afin de garantir une effectivité à la démarche. Dans certaines situations particulières, "passer la main" sans être certain que ce soit possible dans les faits, pourrait vous être reproché.