Une patiente brûlée au bloc par la couverture chauffante
Au cours d'une intervention chirurgicale, une patiente est victime d’une brûlure de la face externe de la jambe gauche, occasionnée par la couverture chauffante mise en place par l’infirmière de bloc.
Le système de chauffage installé consistait en une couverture reliée par un tuyau à un appareil distributeur de chaleur. En raison d'un mauvais emmanchement, cette chaleur s' est échappée, causant des brûlures. La couverture recouvrait le corps de la patiente et le tuyau d'alimentation avait été placé entre ses jambes.
La patiente saisit le tribunal pour obtenir la mise en place d’une expertise médicale judiciaire et, in fine, la réparation de ses préjudices.
Selon l’expert : une maladresse de l’infirmière
Il ressort des opérations d’expertise judiciaire qu’un personnel infirmier a oublié de faire le raccordement étanche entre le tuyau de l'appareil distributeur de chaleur et l'embout de la couverture chauffante.
Cette maladresse n'a pas été corrigée et, au cours de l'intervention, aucun personnel qui aurait pu avoir accès au corps de la patiente par dessous la couverture n'a été sensible à cette anomalie de fonctionnement.
Selon l’expert :
- Le chirurgien et l'anesthésiste sont responsables du geste interventionnel et de son environnement.
- Ils délèguent nécessairement certaines tâches aux différents personnels du bloc interventionnel, pour être eux-mêmes totalement concentrés sur leurs activités spécifiques.
- C'est dans ce cadre qu'il faut analyser la maladresse : imputable à un personnel de bloc opératoire dans un contexte de responsabilité partagée avec un tandem chirurgien-anesthésiste.
En première instance : une responsabilité partagée
Le chirurgien
Les juges rappellent que le chirurgien est le prescripteur et l'exécutant principal de l'organisation de l'acte chirurgical.
Il est tenu d'une obligation de sécurité envers son patient à ce titre.
En l'espèce, le chirurgien a manqué à son obligation de sécurité. Il était l’organisateur et le chef d'équipe du geste chirurgical qui impliquait le réchauffement de la patiente en raison d'un bloc opératoire particulièrement froid. Il aurait dû interdire l'utilisation d'un matériel de chauffage non conforme, consistant à placer l'embout d'un tuyau soufflant de l'air chaud directement entre les jambes de la patiente, sans le raccorder à une couverture chauffante à usage unique.
Les juges précisent : "Tenu d'organiser l'intervention chirurgicale, ce professionnel ne saurait s'exonérer de ses obligations envers la patiente en tentant de se prévaloir de sa méconnaissance de l'organisation matérielle mise en œuvre par l'établissement dont il sollicita le concours".
L’anesthésiste
L’anesthésiste est également tenu envers son patient d'une obligation de sécurité au titre de l'anesthésie générale pratiquée.
Celle-ci s’étend à l'ensemble des dispositifs déployés à cet effet, en particulier celui utilisé pour réchauffer le patient.
Les juges adoptent le raisonnement similaire que vis-à-vis du chirurgien pour considérer que le médecin anesthésiste a également manqué à son obligation de sécurité.
L’établissement de santé
L'établissement de santé privé répond à l'égard de ses patients des manquements de son personnel ou de ceux générés par les matériels mis en œuvre. Or, dans le cadre d'un contrat d'hospitalisation, l'établissement n’est pas tenu de prodiguer des soins, mais seulement de fournir l'assistance en personnel et en matériel nécessaire à leur mise en œuvre.
Le tribunal retient que l’établissement de santé a, lui aussi, commis une faute en ayant déployé dans le bloc opératoire, mis à disposition un dispositif médical non conforme pour les praticiens libéraux intervenant en son sein.
Chacun des manquements relevés ayant concouru à la réalisation du dommage subi par la patiente, le chirurgien, l’anesthésiste et l’établissement de santé sont déclarés solidairement responsables du dommage subi par la patiente.
Le chirurgien et l’anesthésiste sont déclarés responsables à hauteur de 10 % chacun et l’établissement de santé, à hauteur de 80 %.
Ce dernier a interjeté appel du jugement.
En appel : seul l’établissement est responsable
Réformant le jugement par un arrêt rendu en 2019, la Cour d’appel considère que "l'installation visant à réguler la température externe, celle de l'environnement du patient pendant l'intervention, installation qui par définition est réalisée avant l'opération sans que la présence de praticiens soit avérée et nécessaire, relève du confort du patient et donc d'une compétence propre de l'auxiliaire médical".
Se référant à l’article R. 4311-5 du Code de la santé publique, la Cour d’appel indique que l’installation du système de chauffage "ne relève pas directement de la collaboration entre l'auxiliaire médical et le praticien, qu'il soit chirurgien ou anesthésiste, l'infirmier agissant à ce titre de sa seule initiative".
Pour les juges d’appel, il en résulte que "le lien de subordination qui caractérise la relation contractuelle entre l'établissement de santé employeur et son personnel infirmier doit, en l'espèce, être maintenu sans aucun transfert vers les médecins exerçant comme praticiens libéraux, seul l'hôpital privé devant supporter les conséquences dommageables de l'acte fautif commis par l'infirmier de bloc opératoire".
Ainsi, seule la responsabilité de l’établissement de santé est engagée du fait (fautif) de l’infirmier de bloc opératoire, lequel agissait dans le cadre de ses compétences propres.