RAC zéro : une bonne intention qui peut déboucher sur une mise en cause
Aujourd’hui, certaines prothèses dentaires sont facturées en "reste à charge zéro (RAC zéro)". Les patients bénéficiant d’une mutuelle ont alors la possibilité de faire réaliser des prothèses conjointes (couronnes et/ou bridge) sans reste à charge financier.
Dans ces conditions, il est tentant d’imaginer que conserver une ou plusieurs dents malgré des facteurs biomécaniques défavorables en réalisant des prothèses conjointes permettra de rendre service à son patient, en différant une extraction pourtant inévitable.
C’est dans ce contexte que des sinistres sont déclarés auprès des assurances de responsabilité civile professionnelle (RCP) : le patient est souvent surpris de perdre une dent, imaginant que celle-ci était pérenne puisqu’elle venait d’être traitée.
Le patient demande alors à l’assureur la prise en charge de traitements de réhabilitation pour le remplacement de sa ou ses dents perdues.
Le RAC zéro et la nouvelle convention de 2023/2028
Apparu en 2018 avec la convention 2018-2023, le reste à charge zéro a mis en place :
- un plafonnement de certains actes de prothèse,
- associé à une prise en charge intégrale des honoraires par les organismes sociaux (assurance maladie et mutuelle complémentaire).
La nouvelle convention 2023-2028 (publiée au JO le 25 août 2023) prévoit de maintenir ces plafonnements et élargit le RAC zéro à toutes les prothèses conjointes zircones monolithiques (couronnes et bridges) dès 2026.
Quelques exemples de cas cliniques
Nous vous présentons ici des cas réels de mise en cause de la responsabilité du chirurgien-dentiste après RAC zéro.
- Réfection d'anciennes couronnes en RAC 0 et modéré sur toute une arcade
Solidarisation alors que toutes les dents présentaient des pertes osseuses des 2/3 ou plus de leur hauteur radiculaire.
18 mois plus tard, le patient qui a déménagé consulte un confrère, qui l’informe que toutes ses dents sont perdues et qu’une réhabilitation implant-portée de toute l’arcade est à envisager. Le patient se dit anéanti.
État initial :
- Couronne d'une prémolaire et son inlay-core refaits
Le rapport racine/couronne est défavorable et l’organe dentaire est délabré, la racine se fracture quelques mois après... Le patient demande la prise en charge d’un implant, une greffe osseuse et la prothèse implanto-portée.
État initial / après les soins :
Et après ? Ce qui doit arriver arrive : la fracture.
Comment éviter les écueils ?
Nos conseils...
Évaluer l'état initial et bien choisir le plan de traitement
Après un examen clinique et radiographique, chaque chirurgien-dentiste se doit d’évaluer les facteurs biomécaniques des organes dentaires. Ce sont ces facteurs qui lui permettront de statuer sur la possibilité de conserver et de reconstituer les organes dentaires de manière pérenne, par une prothèse conjointe ou autre, dans le respect du gradient thérapeutique.
Quels sont les critères à prendre en compte ?
- Critères parodontaux
- Critères biomécaniques (rapport racine/couronne clinique, tissu dentaire résiduel)
- Critères occluso-fonctionnels et rapports dentodentaires
- La valeur stratégique de la dent dans le contexte dentaire global.
Bien informer
Avant de commencer les soins, un devis devra être réalisé pour informer le patient du montant des honoraires facturés et des différentes étapes du traitement prothétique.
Cette information concernant les montants d’honoraires facturés est obligatoire et doit être donnée à tous les patients sans exception, y compris pour les patients bénéficiaires de la CMU et/ou de soins en RAC zéro.
Il conviendra de prévenir son patient :
- des risques possibles pouvant survenir lors des soins ;
- de l’éventualité d’une réévaluation du devis, notamment à la suite de la dépose des anciennes prothèses ;
- de la possibilité de découvrir des fêlures/fractures ou bien de se rendre compte que le tissu dentaire restant est trop délabré et ne laisse pas la possibilité de réaliser un cerclage (ou ferrule effect en anglais) suffisant pour supporter une prothèse.
C’est pourquoi la signature d’un consentement éclairé, non obligatoire mais conseillé, permettra de formaliser par écrit l’information donnée oralement.
Petit rappel des bonnes pratiques
- Travailler sur un parodonte assaini et stabilisé.
- Évaluer la faisabilité du projet prothétique en passant par une phase transitoire.
- Avoir une bonne connaissance de l’occlusion.
- Réévaluer les traitements endodontiques.
- Préciser les modalités du suivi à adopter : contrôle de plaque dentaire, fréquence des visites.
Quelles obligations et quelle responsabilité pour les praticiens ?
- Les chirurgiens-dentistes sont soumis à une obligation de moyens
Ils ne sont pas tenus à une obligation de résultat (à l’exception des praticiens qui fabriquent eux-mêmes leurs prothèses par CADCAM).
Ils doivent tout mettre en œuvre pour parvenir à une situation satisfaisante.
L’omnipraticien, s’il s’estime insuffisamment compétent pour certains actes, ne doit pas hésiter à adresser à des praticiens spécialisés pour des prises en charges spécifiques comme la parodontologie, l’orthodontie, l’implantologie, l’endodontie… - Les décisions thérapeutiques doivent être réfléchies dans l’intérêt du patient et se justifier médico-légalement
Chaque praticien doit rester dans son rôle de sachant et ne doit pas se laisser influencer par des considérations financières ou des demandes surréalistes pour établir le plan de traitement de son patient, et ce, toujours dans le respect du gradient thérapeutique.
Et la déontologie, dans tout ça ?
Le Code de déontologie (codifié dans le Code de la santé publique à l’article R.4127-234, indique :
"Le chirurgien-dentiste doit mettre son patient en mesure d’obtenir les avantages sociaux auxquels son état lui donne droit, sans céder à aucune demande abusive".
Le chirurgien-dentiste, dans son rôle de sachant, se doit d’évaluer précisément l’état initial des dents afin d’établir un plan de traitement qui se justifie médico-légalement, dans le respect du gradient thérapeutique et l’intérêt du patient.
Bibliographie
- F. Rouzé L’alzit, M. Bartala - "20 ans de prothèse fixée traditionnelle" - Stratégie Prothétique n°4 - 15 septembre 2019 (page 282-290)
- "Indications et contre-indications des reconstitutions corono-radiculaires pré-prothétiques coulées et insérées en phase plastique" - Service d'évaluation technologique - ANAES - 2003
- Journal officiel de la République Française numéro 196 du 25 août 2023
- "Évaluation des prothèses dentaires à infrastructure céramique" - HAS - 2008
- P. Simonet, P. Missika, P. Pommarède - "Recommandations de bonnes pratiques en odonto-stomatologie" - Ed. Espace ID