Les vétérinaires expérimentent la télémédecine

Je suis vétérinaire praticien depuis 1975, diplômé de l'école de Maisons-Alfort.

J'ai été omnipraticien pendant plus de 30 ans en Saône-et-Loire, exerçant une activité en groupe (toutes espèces, aussi bien les animaux de compagnie mais surtout les animaux des élevages et notamment le bétail charolais).

Je me suis investi au sein de ma profession, d'abord dans les instances professionnelles techniques et puis assez rapidement dans l'instance ordinale. J'ai été pendant 8 ans Secrétaire général du conseil régional de l'Ordre de la région Bourgogne, devenue aujourd'hui la région Bourgogne-Franche-Comté.

J'ai ensuite été élu au conseil national de l'Ordre des vétérinaires, dont j'ai assuré la présidence de 2010 à 2016.

Dès 2016, le conseil national de l'Ordre des vétérinaires, dont j'assurais alors la présidence, s'était déjà penché sur la question de la télémédecine vétérinaire.

En effet, forts de l'expérience de la télémédecine en médecine humaine, et suite aux interpellations de confrères qui souhaitaient lancer des initiatives de téléconseil, j'avais demandé à l'Académie vétérinaire de réfléchir sur les modalités d'application de cette pratique à la médecine vétérinaire.

C'est en 2017 que l'Académie vétérinaire s'est prononcée et mon successeur, Jacques Guérin, a alors lancé une réflexion auprès du conseil national et des conseils régionaux, en concertation avec les organisations professionnelles vétérinaires (syndicales et techniques).

Suite à ce travail de réflexion, le ministère a été interpellé pour que les textes soient modifiés afin de rendre possible l'application de la télémédecine à la médecine vétérinaire.

La crise sanitaire a joué un rôle d'accélérateur puisqu'au début de la crise, la lenteur entraînée par tout le processus de sécurité sanitaire retardait sérieusement l'exercice de la médecine vétérinaire.

La publication d'un décret en conseil d'Etat a été nécessaire pour modifier la partie réglementaire du Code rural à ce sujet. Il est cependant peut-être à regretter que le texte ne soit arrivé qu'au moment du début du déconfinement malgré les pressions pourtant exercées par les instances vétérinaires et l'Ordre depuis plusieurs années.

> Voir le décret n° 2020-526 du 5 mai 2020 relatif à l'expérimentation de la télémédecine par les vétérinaires

La télémédecine vétérinaire est parfaitement définie à l'article 2 du décret du 5 mai 2020.

Tout comme en télémédecine humaine, la télémédecine vétérinaire se décline de la façon suivante :

• la téléconsultation,
• la télésurveillance,
• la téléexpertise,
• la téléassistance,
• la télérégulation.

> A lire aussi sur le site de la Prévention Médicale : Sécurité en télémédecine vétérinaire : premières recommandations à J0 de l’expérimentation

Dès le 7 mai 2020 un vade-mecum de télémédecine vétérinaire a été mis en ligne par l'Ordre national des vétérinaires, reprenant l'ensemble des instructions nécessaires ainsi que les conditions de participation à l'expérimentation.

Le vétérinaire qui souhaite participer à l'expérimentation (d'une durée de 18 mois) doit s'inscrire en ligne auprès de son conseil régional et reçoit une attestation de déclaration par retour.

Il sera alors tenu d'ouvrir un registre des actes de télémédecine effectués, qu'il s'engage à communiquer à son conseil régional de l'Ordre des vétérinaires (CROV).

Ces démarches peuvent être effectuées depuis un smartphone.

Le but de cette expérimentation est de recueillir un maximum de données afin de réaliser une analyse complète de la télémédecine vétérinaire (pratiques, modes d'exercice, espèces traitées, etc.) et ainsi savoir quel est l'intérêt de ce type d'exercice pour la profession.

Un des éléments forts de ce dispositif est également le maillage territorial. En effet, le bilan réalisé à l'issue de la phase d'expérimentation, permettra de connaître le nombre de vétérinaires qui se sont engagés et de quelle manière ils se répartissent géographiquement.

De plus, le cadre réglementaire qui en découlera permettra à chacun de prendre conscience des responsabilités engagées.

Cela va permettre l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication pour avancer et gagner du temps afin d'être plus productif, plus rapide et plus efficace dans un bon nombre de cas.

La télémédecine, notamment la téléconsultation, va sûrement être très appréciable dans les zones de désertification vétérinaire ou qui tendent à la désertification. Cependant, ce dispositif pourrait être mis en difficulté en raison d'un manque d'accès à Internet. Néanmoins, le gouvernement a pris l'engagement de résoudre ce problème compte tenu de la condition incontournable d'un accès à un réseau opérationnel (visioconférence…).

Les bénéfices de cette pratique sont nombreux, notamment en termes d'organisation.

Ainsi, cela permettra de réduire les déplacements : un gain de temps, notamment en exercice rural, qui conférera une meilleure organisation de l'agenda du vétérinaire et donc une plus grande disponibilité.

Désormais, le conseil donné par téléphone pourra être rémunéré de manière légale et réglementaire.

Le gain n'est pas négligeable également pour le propriétaire de l'animal et cela aura sans doute un impact bénéfique dans la relation de confiance qu'il entretient avec le vétérinaire, qui lui permettra de bénéficier d'une téléconsultation.

Le système de tarification du vétérinaire est totalement libéral. Il détermine librement ses honoraires mais il doit les porter obligatoirement à la connaissance du public. La transparence reste donc de mise. Le vétérinaire qui recourra à la pratique de la télémédecine devra l'indiquer dans les "conditions générales de fonctionnement des établissements de soins vétérinaires" (CGFESV), qui devront comporter les informations relatives aux honoraires dans ce domaine. Un avenant devra alors être communiqué au conseil régional de l'Ordre dont il dépend.

C'est pourquoi le vétérinaire reste responsable de la mise en œuvre ou non de l'acte de téléconsultation. Il ne devra pas céder à la pression que pourront exercer certains de ses clients qui, pour gagner du temps, insisteront pour recourir à cette méthode et qui, en cas d'erreur due aux limites techniques, risqueraient par la suite d'engager sa responsabilité.

Cette dernière prend autant d'importance en télémédecine vétérinaire qu'en télémédecine humaine et le conseil national de l'Ordre invite les praticiens à faire une déclaration auprès de leur assureur en responsabilité civile professionnelle en ce sens.

Le fait de donner un cadre juridique à la télémédecine ainsi que l'apport des nouvelles technologies de l'information et de la communication vont permettre l'accroissement d'une réelle télésurveillance effective des animaux.

Cela est vrai pour le suivi des animaux de compagnie mais également pour le suivi des animaux de rente. Le texte attendu sera, à mon sens, un outil indéniable dans les négociations avec les organisations agricoles pour obtenir l'accès à toutes les informations précieuses prélevées par les capteurs par ailleurs déjà en place.

La télémédecine vétérinaire sera également, pour les jeunes praticiens, un moyen de rendre l'installation dans les zones sous dotées plus attractive et leur redonner le goût de l'exercice à la campagne dans le respect de la qualité de vie.

A ma connaissance, c'est la première fois que la profession bénéficie d'un dispositif à titre expérimental.

Dans la mesure où le vétérinaire a la liberté de le proposer ou non, je pense qu'il est intéressant de faire l'essai. Chacun est le meilleur juge pour faire sa propre expérience, et ce de façon encadrée.

Participer à ce dispositif c'est contribuer à l'évolution et à la modernisation de la profession.