Une éruption cutanée pas comme les autres
Une patiente de 54 ans présente une maladie de Darier diagnostiquée en 1982 à l’âge de 28 ans et est suivie depuis près de 10 ans par un dermatologue hospitalier. La maladie est stable depuis plus de 5 ans. La patiente présente par ailleurs un antécédent de décollement de rétine de l’œil droit opéré avec une acuité visuelle évaluée, deux ans auparavant, à 5/10e au niveau de l’œil droit et 10/10e au niveau de l’œil gauche.
Elle consulte son dermatologue pour une éruption cutanée sur tout le corps, les cuisses, le dos et le thorax évoluant depuis quelques jours. Le praticien évoque un eczéma "majeur" et prescrit un traitement associant un immunosuppresseur (Néoral®) et une crème corticoïde.
Malgré le traitement, les lésions s’étendent aux membres supérieurs et inférieurs, amenant la patiente à consulter aux urgences.
L’extension de l’érythème est constatée avec un prurit important et l’apparition d’une conjonctivite. Devant l’importance du tableau, l’urgentiste contacte le dermatologue. Ce dernier conseille d’augmenter la posologie du Néoral® et de changer de corticoïde local, traitement auquel l’urgentiste ajoute un collyre et une pommade ophtalmique sur l’ordonnance de sortie.
Le lendemain, la patiente est revue par son dermatologue qui prescrit une biothérapie et décide d’une biopsie cutanée au niveau de l’épaule gauche, retrouvant un "aspect de dyskératose acantholytique en accord avec une maladie de Darier connue". Il prescrit du Cortancyl® et un collyre.
Une semaine après, la patiente est prise en charge à l’hôpital de secteur pour bilan d’érythrodermie sur maladie de Darier.
Il est noté par l’urgentiste :
- un prurit important,
- un gonflement du cou sans gêne respiratoire,
- un écoulement purulent au niveau des conjonctivites sans lésion muqueuse évidente.
Un avis est de nouveau pris auprès du dermatologue qui préconise la poursuite de la corticothérapie, associée à un traitement rétinoïde (Soriatane®).
De graves conséquences sur l'acuité visuelle
Un médecin interniste réalise un prélèvement cutané en vue d’un test PCR pour recherche du virus de l’herpès. Celui-ci revient positif une semaine après. Le traitement par corticoïdes est arrêté et un traitement par Aciclovir est débuté en intraveineuse.
Alors que l’état cutané s’améliore, la patiente présente une douleur de l’œil gauche avec perte de transparence de la cornée et perte totale de l’acuité visuelle. L’ophtalmologiste sollicité en urgence constate un ulcère total de la cornée gauche avec une possible uvéite associée. Les prélèvements réalisés mettent alors en évidence une coïnfection à herpès simplex virus et pyocyanique.
Malgré les traitements institués, et notamment la réalisation d’une greffe de membrane sur la cornée gauche, l’acuité visuelle de l’œil gauche reste limitée à la perception des mouvements de la main. Au jour de l’expertise, l’acuité visuelle de l’œil gauche est estimée "compte les doigts à 2 mètres" et celle de l’œil droit à 4/10e.
Une expertise en défaveur du dermatologue
Les experts expliquent que la surinfection herpétique a résulté d’une poussée du virus herpès Simplex dont la patiente était porteuse asymptomatique et qui était présent avant l’hospitalisation. La surinfection herpétique a été favorisée par la dyskératose acantholytique présente dans l’épiderme des patients ayant une maladie de Darier. Dès lors, cette infection ne saurait être qualifiée de nosocomiale.
Concernant la prise en charge, seule la responsabilité du dermatologue est retenue.
En effet, les experts rappellent que le dermatologue suivait la patiente depuis plus de 10 ans et que son avis avait été sollicité plusieurs fois au cours de l’hospitalisation. Selon eux, devant l’aggravation et la dissémination des lésions en dépit des thérapeutiques instituées, le dermatologue aurait dû évoquer le diagnostic qui est une complication rare mais connue des poussées de maladie de Darier. Il aurait alors dû réaliser un prélèvement cutané à visée bactériologique, ce qui aurait permis un diagnostic et une prise en charge plus précoces de cette surinfection herpétique disséminée, avant la survenue de la kératite herpétique aiguë.
Ils retiennent une perte de chance de ne pas présenter de kératite herpétique aigue estimée à 20%.
Enseignements et recommandations
Chez un patient porteur d’une maladie de Darier, l’apparition brutale de douleurs, fièvre, vésicules ou érosions diffuses doit immédiatement faire évoquer une surinfection herpétique. Le retard de reconnaissance de ce tableau peut être considéré comme une faute diagnostique.
L’absence ou le retard d’instauration d’un traitement antiviral (Aciclovir IV ou PO selon la gravité) peut entraîner une perte de chance de guérison rapide permettant d’éviter des complications systémiques.
Devant une extension rapide ou un état général altéré, une hospitalisation s’impose. Le maintien à domicile sans suivi médical rapproché pourrait être qualifié de négligence fautive en cas de complications.

