Des troubles moteurs dans les suites d'une vaccination
Huit jours après avoir consulté son médecin traitant pour un rappel DTCP, un patient de 40 ans sans antécédents consulte aux urgences du centre hospitalier voisin. Il se plaint depuis 3 jours :
- de picotements, avec parfois sensations d’engourdissement au niveau des mains et des pieds,
- d’une fatigue croissante,
- d’une faiblesse musculaire.
Il est tombé la veille et depuis, il a même du mal à tenir debout et ne peut plus marcher. Le patient précise également avoir eu "comme une grippe" au décours de l’injection vaccinale.
L’examen fait à son admission retrouve un déficit moteur proximal des quatre membres, une hypoesthésie au niveau des doigts ainsi qu’une aréflexie.
Un bilan biologique est prescrit et se révèle normal.
Une ponction lombaire met en évidence une dissociation albumino-cytologique avec une protéinorachie à 0,60 g/l.
Le patient est admis pour une suspicion de Guillain-Barré et bénéficie le jour même d’un EMG venant confirmer le diagnostic.
Un syndrome de Guillain-Barré aux graves conséquences
Malgré l’instauration immédiate d’un traitement par immunoglobulines (Tegeline®), l’état du patient s’aggrave : la tétraparésie progresse, des troubles de déglutition et une diplégie faciale apparaissent.
Le patient est transféré à J4 en réanimation puis rapidement intubé du fait d’une dégradation de son état respiratoire. Il bénéficie d’un traitement par plasmaphérèses (6 au total) qui permet d’obtenir une amélioration au prix d’un séjour en réanimation d’une dizaine de jours et d’une pneumopathie. Tous les prélèvements à la recherche d’une cause infectieuse réalisés restent négatifs, en dehors d’un prélèvement rectal retrouvant un Enterobacter.
La récupération amorcée sera longue, justifiant un séjour de 5 mois en rééducation avec une prise en charge dans ce même centre en hospitalisation de jour pendant encore 2 mois. Le patient reprendra son travail de magasinier à temps plein 2 ans et demi après l’événement.
Cette récupération est incomplète. Six ans après les faits, le patient invoque toujours une fatigabilité persistante lors de la marche, une faiblesse musculaire, des troubles de l’attention et de la mémoire dans un contexte dépressif.
Un lien de causalité avec la vaccination DTCP, selon la CCI
Le patient engage une procédure devant la CCI. Deux experts, l’un neurologue et l’autre pharmacologues, sont désignés.
L’indication du rappel DTCP n’est pas critiquée, d’autant que le patient avait quelques jours auparavant été blessé à l’œil au cours de son travail. L’information sur les risques de ce rappel n’est pas davantage discutée, même si les experts rapportent que le patient soulignait ne pas avoir été informé. La responsabilité du médecin généraliste ayant réalisé ce rappel est donc écartée.
Après avoir rappelé que le risque de survenue d’un syndrome de Guillain-Barré était bien mentionné dans le RCP du vaccin, ils écartent également la responsabilité du laboratoire.
Comme ils écartent toute responsabilité des médecins et réanimateurs ayant pris en charge le patient, étant souligné la rapidité avec laquelle le diagnostic a été établi.
En revanche, leurs conclusions seront bien moins tranchées concernant l’imputabilité. Ils préciseront que ce syndrome de Guillain-Barré est "possiblement" en rapport avec la vaccination, même s’il n’est "pas impossible" qu’il soit lié au syndrome grippal présenté quelques jours après sa réalisation.
Malgré cette hypothèse, la CCI, elle, tranchera en faveur d’un accident en rapport avec la vaccination, considérant que "le patient ne présentait aucun signe avant sa vaccination". L’indemnisation des préjudices sera donc mise à charge de l’ONIAM au titre d’un aléa thérapeutique…
Interroger, examiner et hospitaliser !
Dans cette affaire, la présentation clinique et sans doute l’expérience de l’urgentiste ont permis un diagnostic assez rapide et une prise en charge optimale.
Rappelons en premier lieu la rareté de cette affection (environ 100 000 cas/an dans le monde) qui atteint préférentiellement les hommes et dont l’incidence croît avec l’âge (avec 1 pic chez les enfants et adolescents puis vers 55 ans).
Soulignons également de possibles errances et erreurs diagnostiques. Car, à côté de la forme typique, il existe en réalité une hétérogénéité de formes cliniques confondantes car pouvant ressembler, au moins au début, à une maladie de Lyme ou à un boulisme par exemple.
Mais classiquement, le syndrome de Guillain-Barré se présente comme une polyneuropathie périphérique bilatérale aiguë ascendante, rapidement progressive, pouvant survenir au décours :
- d’une infection (2/3 des cas et notamment infection à campylobacter jéjuni),
- d’une vaccination (grippe, zona, Sars-Cov2..),
- voire d’une chirurgie.
Vont apparaitre successivement (c’est la phase d’extension qui peut durer 4 semaines) :
- des paresthésies,
- puis une faiblesse des membres inférieurs puis des membres supérieurs,
- voire une paralysie faciale ou des muscles respiratoires.
Les réflexes peuvent été diminués ou abolis mais également persister lors de cette phase. L’atteinte des muscles respiratoires, de survenue possible à tout moment, expose le patient à un risque de détresse respiratoire et rend compte de la nécessité de faire hospitaliser tout patient dès la suspicion évoquée d’un syndrome de Guillain-Barré. En effet, le pronostic vital peut être engagé (5% de mortalité).
De nouveaux critères diagnostiques
Jusqu’à présent, pour affirmer le diagnostic, un certain nombre de critères cliniques requis ou "confortant" le diagnostic et de critères biologiques étaient nécessaires (critères de Brighton de 2011) dont la fameuse "dissociation albumino-cytologique" à l’analyse du LCR. Mais il a été observé que la PL peut être normale la première semaine suivant le début des symptômes, une hyperprotéinorachie n’étant d’ailleurs retrouvée que chez seulement la moitié des malades à 3 jours du début des symptômes.
Sauf doute ou nécessité d’éliminer une pathologie infectieuse, la PL n’est donc plus indispensable pour affirmer le diagnostic. De même pour l’EMG, jugé non nécessaire pour le diagnostic, son intérêt étant de permettre les diagnostics différentiels ou d’affirmer le type d’atteinte.
Désormais, et depuis 2023, 3 critères uniquement cliniques suffisent à affirmer le diagnostic de syndrome de Guillain-Barré (Recommandations 2024 de l’European Academy of Neurology2) :
- Faiblesse progressive au niveau des membres.
- Aréflexie ou diminution des réflexes au niveau des membres concernés.
- Aggravation progressive en moins de quatre semaines.
Une prise en charge souvent longue
Il n’existe à ce jour aucun traitement curatif.
La prise en charge du malade vise dans un premier temps à "passer le cap" et stabiliser son état. Elle associe traitements de soutien et (s’agissant d’une maladie auto-immune) des injections d’immunoglobulines ou des échanges plasmatiques, mais seulement en cas d’atteinte sévère ou rapidement progressive.
Dans un second temps, une fois le patient "stabilisé", sa prise en charge reposera sur une rééducation souvent longue. Dans la mesure du possible, celle-ci sera organisée à domicile mais on estime qu’environ 40% des patients nécessitent une prise en charge rééducative et multidisciplinaire en milieu hospitalier1 faisant intervenir ergothérapeutes, kinésithérapeutes...
Des séquelles toujours possibles
Si, pour la majorité des patients, l’évolution sera favorable,15 à 20% d’entre eux vont garder des séquelles neurologiques de gravité variable (sévères dans 5% des cas).
Pour autant, plus de 30% des patients disent avoir dû renoncer à certaines de leurs activités usuelles ou de loisirs, voire changer d’emploi… malgré la guérison3,4.

