Cas clinique n° 1 : antécédents de cancer colique chez un patient de 70 ans
En janvier 2015, un patient de 70 ans subi une coloscopie en raison d'antécédents familiaux de cancer colique. Le gastro-entérologue conclut à un examen normal jusqu'au cæcum en dehors d'une diverticulose banale du sigmoïde.
Un an et demi plus tard, le patient consulte son médecin traitant pour des saignements en fin de selles. Il est réadressé au spécialiste qui réalise un examen proctologique, et retient l’origine hémorroïdaire du saignement, favorisé par un traitement anticoagulant pour arythmie.
Cinq mois après, nouvelle consultation pour la persistance des saignements associés à une constipation et des troubles mictionnels. Le diagnostic d'hémorroïdes est a nouveau confirmé et le bilan urologique se révèle normal.
Début 2017, le patient signale des émissions rectales glairo-sanglantes. Il est pris en charge par un autre praticien qui réalise une rectosigmoïdoscopie révélant une tumeur du rectum bourgeonnante et ulcérée occupant les deux tiers de la circonférence, située à 10 cm de la marge anale. Le bilan confirme un adénocarcinome T3 N+ en raison de probables métastases hépatiques.
Le patient assigne le gastro-entérologue.
L'expertise : la responsabilité du gastro-entérologue retenue
Au terme de son expertise, l'expert retient un retard au diagnostic, considérant que celui-ci aurait pu être fait dès la première consultation pour rectorragies en programmant une coloscopie.
Il tend cependant à justifier en partie l'attitude du gastro-entérologue par le fait que les saignements à l'essuyage étaient évocateurs d'hémorroïdes, que la lésion n’était pas accessible par une simple anuscopie et surtout que la coloscopie de 2015 avait été jugée normale.
Les recommandations de l'HAS sont en effet de ne refaire une coloscopie chez un patient à risque que 5 ans après une coloscopie normale.
Malgré tout, l'expert note que le patient était symptomatique et surtout qu'il était probable que la lésion existait déjà lors de la coloscopie de 2015, de plus petite taille, et qu'elle avait pu être manquée par l'endoscopiste en raison des difficultés de l’examen dans la détection de lésions situées derrière un pli ou du fait d'une mauvaise préparation.
La responsabilité du gastro-entérologue a été finalement retenue, à l'origine d'une perte de chance de guérison et d’avoir pu éviter des traitements adjuvants agressifs.
Cas clinique n° 2 : une tumeur néoplasique du colon chez une femme de 50 ans
Un autre dossier concerne une patiente de 50 ans qui a subi une coloscopie pour une diarrhée évoluant depuis deux mois avec une recherche de sang dans les selles positive.
Le compte rendu de l’examen fait état d'une exploration complète avec une préparation correcte et sans lésion visible jusqu'au cæcum.
En raison d'antécédents familiaux de cancer colique d'intervalle, une nouvelle coloscopie est prévue 5 ans plus tard.
La patiente est suivie par son médecin traitant, et 9 mois après la coloscopie il est découvert une anémie ferriprive. Elle est rattachée dans un premier temps à un saignement d'origine gynécologique puisque la coloscopie faite quelques mois auparavant s'était révélée normale.
Devant l'apparition d'une gêne abdominale et d'une diarrhée, le médecin traitant prescrit une échographie qui met en évidence un foie multinodulaire et une carcinose péritonéale.
Une nouvelle coloscopie réalisée 13 mois après l'examen initial retrouve une volumineuse tumeur néoplasique du côlon droit.
La plainte a été dirigée dans un premier temps contre le gastro-entérologue puis vers le médecin traitant considérant qu'il avait participé au retard au diagnostic.
Discussion autour du cancer colique
Qu'est-ce que le cancer colique d'intervalle ?
Le cancer colique d'intervalle (CCRi) est un cancer découvert entre 6 mois à 3 ans après une coloscopie jugée normale (CCRi précoce), mais ce délai peut être élargi à 5 ans, voire plus (CCRi différé).
Le taux de CCRi correspond au pourcentage de cancers découverts dans l’intervalle de 2 examens par rapport à l’ensemble des cancers diagnostiqués sur la période concernée. Il se situe entre 2,9 à 7,9 % selon les études.
Ces cancers siègent en grande majorité au niveau du côlon droit mais des localisations plus distales sont possibles en particulier au niveau du rectum comme dans l'observation présentée. Ils semblent plus fréquents chez la femme et chez les sujets de plus de 65 ans.
Le risque augmente avec l'existence :
- de comorbidités,
- d'antécédents de chirurgie abdomino-pelvienne,
- de maladies inflammatoires intestinales chroniques,
- de diverticulose colique,
- de présence de polyadénomes lors de la coloscopie initiale.
Par rapport au cancer sporadique, les études sont discordantes sur le stade évolutif au moment du diagnostic et sur le pronostic.
Différents mécanismes sont évoqués à l'origine des CCRi
Les cancers liés à la procédure
Le risque de CCRi est tout à fait corrélé avec le taux de détection desadénomes (TDA) lors de la coloscopie.
Il est connu depuis plusieurs années que le TDA lors d'une coloscopie est très variable en fonction des opérateurs.
Il est lié directement à la qualité de l’endoscopie basée sur le caractère complet de l’examen avec atteinte du bas fond caecal, l’efficacité de la préparation et, facteur important, le temps d’exploration lors du retrait de l'endoscope qui ne devrait pas être inférieur à 6 mn.
D’après les différentes études, 2/3 des CCRi seraient en rapport avec des lésions "oubliées".
Seule une coloscopie réalisée dans des conditions optimales permet en outre de diagnostiquer et traiter les polypes festonnés siégeant souvent dans le côlon droit, de diagnostic difficile car de caractère plan et qui pourraient être à l’origine des CCRi.
20 % des CCRI seraient également très probablement dus à une résection incomplète de polypes en raison de la technique utilisée et/ou d’un défaut de surveillance après la polypectomie.
La diminution importante de la fréquence de survenue des CCRi (3 fois moins en 10 ans) observée en Grande-Bretagne sur des données récentes tend bien à prouver l’importance de l’amélioration de la qualité de la coloscopie et de la formation des opérateurs à l’origine de cette évolution favorable.
Les cancers de survenue rapide
Ils sont liés à des facteurs biologiques propres au patient et sont souvent associés à des anomalies génotypiques (instabilité des microsatellites ou anomalie de méthylation) à l’origine d’une carcinogénèse accélérée.
Ils représenteraient moins de 1/5e des CCRi.
Conséquences médico-légales
Quelle responsabilité pour le gastro-entérologue ?
Lors de la découverte d'un CCRi, la responsabilité du gastro-entérologue qui a réalisé la coloscopie initiale peut-être recherchée par le patient.
Compte tenu de la fréquence actuellement admise de "lésions manquées" lors de la coloscopie ou de la possibilité d'une polypectomie incomplète à l’origine de ce type cancer, le praticien mis en cause se doit d’apporter la preuve de la qualité de son exploration.
Pour cela le compte rendu de la coloscopie doit être descriptif et standardisé. Son contenu a fait l'objet de Recommandations par les Sociétés Savantes (SFED), et doit mentionner :
- la qualité de la préparation évaluée par des scores,
- le caractère complet ou non de l'exploration,
- la description des polypes,
- leur siège,
- les techniques de la polypectomie,
- le temps de retrait de l'endoscope,
Tous ces éléments devant être illustrés par des photographies sur lesquelles sont édités les horaires.
Quelle responsabilité pour le médecin généraliste ?
Le médecin traitant peut également être mis en cause pour avoir participé au retard au diagnostic.
Devant des symptômes récidivants ou persistants (anémie, rectorragies, troubles inhabituels du transit) après une coloscopie jugée normale par le spécialiste, on peut concevoir sa réticence à demander la réalisation d’une nouvelle exploration généralement peu appréciée du patient en raison de la contrainte de la préparation colique et de la nécessité d'une anesthésie générale.
Recueillir à nouveau l’avis du spécialiste dans cette situation difficile pourrait être conseillé.
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La survenue d'un cancer colique d'intervalle est une éventualité non exceptionnelle
La responsabilité du gastro-entérologue, mais également celle du médecin traitant, risque d'être recherchée à la lumière des études qui ont montré la fréquence des lésions "manquées" lors de la coloscopie.
Il appartient au spécialiste de démontrer la qualité de son exploration par un compte-rendu détaillé, respectant les critères exigés par les Recommandations des Sociétés Savantes.
Il existe cependant des cancers d’évolution rapide survenant chez des sujets à risque qu'il importe de connaître afin d'améliorer la surveillance.
Cela met en évidence les limites de la coloscopie, même réalisée dans des conditions optimales, problème dont le patient devrait être informé.