Règle de l’Art ou règle opposable, quelle est la différence ?
La règle de l’Art
Les règles de l’Art sont des références techniques et professionnelles qui reflètent l’ensemble des connaissances, pratiques et usages reconnus par la communauté médicale à un moment donné. Elles contribuent à dessiner les contours des fameuses "données actuelles de la science".
Ses sources sont très diverses : sociétés savantes, Académie de médecine, Organisation mondiale de la santé, littérature médicale, et bien sûr la HAS.
Les règles de l’Art relèvent d’un savoir-faire scientifique et technique, et non du domaine juridique. Elles n’ont pas en soi de valeur normative, mais elles ont cependant une influence majeure sur l’appréciation de la conduite du professionnel de santé : elles servent systématiquement de référence pour apprécier la conformité de son comportement dans une situation donnée.
Le juge ou l’expert vont ainsi se référer aux règles de l’Art applicables à l’époque des faits pour déterminer si le praticien a agi comme l’aurait fait un "bon professionnel" et vérifier le respect de son obligation de moyens. Mais il ne s’agira que d’un élément parmi d’autres pour trancher les responsabilités.
La règle opposable
Une règle est opposable si son respect s’impose à tous les professionnels concernés. Elle pose généralement un cadre précis, souvent contraignant, et sa violation suffit à constituer une faute.
Il peut s’agir bien évidemment d’une loi ou d’un décret, mais aussi de règlements professionnels ou de recommandations rendues obligatoires par un texte réglementaire.
En cas de contentieux, un juge ou une CCI peut opposer ces textes au professionnel et lui faire grief de ne pas les avoir respectés.
Recommandations de bonne pratique de la HAS : des règles de l’Art
Les recommandations de bonne pratique se définissent comme des propositions, issues d’une méthodologie précise, destinées à aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés, dans des circonstances cliniques données. Leur objectif est d’informer les professionnels de santé sur l’état de l’Art et les données acquises de la science à un moment donné.
À ce titre, elles contribuent elles-mêmes à la constitution des règles de l’Art, en particulier les recommandations de grade A, d’un niveau de preuve solide.
Le Conseil d’État, dans un arrêt du 12 janvier 2005, a conclu sans ambiguïté que les recommandations de bonne pratique doivent être élevées au rang de données acquises de la science. Dans un autre arrêt du 23 décembre 2020, il a précisé qu’à ce titre, la HAS doit engager les travaux nécessaires au réexamen de ses recommandations, pour tenir compte notamment des données nouvelles publiées dans la littérature scientifique et des évolutions intervenues dans les pratiques professionnelles.
Si une recommandation est obsolète ou manifestement erronée au regard des données de la science, il appartient à la HAS :
- de la modifier ou de l’abroger en tout ou partie,
- dans l’attente de cette abrogation ou de cette modification, d’accompagner la publication d'un avertissement approprié.
Bien consciente de l’importance des enjeux, la HAS a élaboré en 2023 un guide dédié à l’actualisation des recommandations de bonne pratique et des parcours de soins.
Recommandations de bonne pratique : une opposabilité encore limitée
Un instrument de "droit souple", non opposable
S’il ne fait pas de doute que les recommandations de la HAS sont prises en compte par les experts et les juges pour porter une appréciation sur le comportement d’un professionnel de santé, on ne peut pour autant considérer qu’elles lui sont "opposables", au sens juridique du terme.
En effet, une recommandation, fût-elle de grade A, fait partie de ce que l’on appelle le "droit souple", par opposition au droit "dur " : par leur contenu, leur structure et leur procédure stricte d’élaboration, les recommandations s’apparentent à des règles de droit, mais elles n’ont pas la même portée normative.
C’est, une fois encore, ce qu’a rappelé le Conseil d’État à la suite d’un arrêt du 27 avril 2011 qui avait été interprété – faussement – comme conférant force de loi à une recommandation de bonne pratique. Dans son étude annuelle de 2013, le Conseil d’État a fait figurer les recommandations de bonne pratique au rang des règles de "droit souple bénéficiant sous diverses formes d’une reconnaissance par le droit dur (prévu par un texte, homologué par une autorité publique (…), susceptible de recours devant le juge) n’allant pas jusqu’à lui conférer une portée obligatoire".
Il ajoute cependant "qu’en pratique, les professionnels de santé courent un risque important à s’en écarter et doivent, si c’est le cas, être en mesure de contrer la présomption dont bénéficient ces recommandations dans le raisonnement du juge".
L’exception : les recommandations homologuées par arrêté
La loi du 4 mars 2002 a prévu que certaines recommandations aient une valeur juridique opposable aux professionnels, notamment en prévoyant leur homologation par arrêté ministériel.
Exemples
En matière d’information, l’article L.1111-2 du code de la santé publique énonce que "Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l’information sont établies par la Haute Autorité de santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la Santé."
Il en va de même, conformément à l’article L.1111-9, quant aux modalités d’accès aux informations concernant la santé d’une personne, et notamment l’accompagnement de cet accès.
Vers une opposabilité accrue ?
Agnès Buzyn, alors Présidente du collège de la HAS, avait précisé en 2016 qu’elle ne pensait pas souhaitable de conférer une opposabilité aux recommandations de bonne pratique en raison du caractère évolutif de l’art médical. Selon elle, les professionnels de santé doivent connaître les bonnes pratiques, et être capables de dire pourquoi, le cas échéant, ils s’en sont éloignés, mais elles ne doivent pas s’imposer à eux en toutes circonstances.
La position de la HAS a sensiblement évolué depuis, peut-être d’ailleurs grâce aux démarches d’actualisation engagées ces dernières années. Ainsi, le Président de la HAS, Lionel Collet, a souligné, dans sa conférence de presse de rentrée en octobre 2025, qu’une évolution pourrait être souhaitable pour certaines recommandations ciblées, et de façon temporaire.
Il a pris l’exemple des recommandations de bonne pratique sur les troubles du spectre autistique chez l’enfant et l’adolescent, en cours de révision. Dans ce domaine, le délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement, Etienne Pot, a alerté la HAS sur la recrudescence dans ce domaine de mauvaises pratiques, considérées comme préoccupantes.
Dans ce cas très particulier, Lionel Collet a appelé de ses vœux une opposabilité "dès lors que nous sommes dans un domaine où il nous paraît essentiel que la prise en charge soit absolument adaptée, pour des raisons d’enjeux".
Reste à savoir comment cette opposabilité se concrétisera.
À retenir
- Les recommandations de bonne pratique de la HAS constituent "l’état de l’Art" pour les professionnels de santé. Elles font partie des éléments pris en compte dans l’appréciation de leur responsabilité en cas de mise en cause ou de litige. S’ils justifient pourquoi ils s’en sont écartés, l’absence de respect des recommandations n’engagera pas leur responsabilité.
- La HAS doit veiller à l’actualisation régulière de ses recommandations de bonne pratique, en fonction des nouvelles données issues de la recherche ou de l’expérience, pour correspondre aux données de la science, à la date de leur publication évidemment, mais aussi ultérieurement, au cours du temps. Cette actualisation peut consister en une abrogation, une modification ou, a minima, un avertissement adéquat.
- Les professionnels de santé restent libres des modalités de prise en charge de leurs patients. Mais certaines dérives, constatées dans des domaines particuliers (par exemple, le dépistage et la prise en charge de l’autisme, mais pas seulement) pourraient déboucher sur une opposabilité en bonne et due forme, après intervention législative en ce sens.
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