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Avec la crise sanitaire majeure que nous vivons, les capacités de prise en charge de nos établissements de santé ont été atteintes voire dépassées. Parmi les mesures prises afin de limiter la saturation des services de réanimation, il a été décidé de réduire l’activité chirurgicale programmée et la réalisation des actes invasifs afin d’avoir moins de patients à accueillir en SSPI (parfois adaptées pour la prise en charge de patients Covid), USC ou en service de réanimation.
Quels sont les risques de ces déprogrammations et les responsabilités encourues par les praticiens et les établissements ?
Déprogrammation des actes : un contexte d'urgence sanitaire inédit >
Les principes juridiques applicables >
Les principes déontologiques applicables >
Quelques pistes pour bien faire >
Ces décisions de déprogrammation ont été prises à plusieurs niveaux, du Ministère de la santé à un service de chirurgie, en passant par les ARS, les GHT… La HAS et les sociétés savantes concernées ont également édicté des recommandations à ce propos et de nombreuses voix se sont fait entendre, dont certaines ont alerté sur les risques qui étaient ainsi créés pour les patients.
Le ministère a ainsi pleinement rempli les missions qui lui sont confiées par l’article L. 3131-1 du code de la santé publique (CSP) qui prévoit : « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ».
Dans la pratique, les programmes ont été, dans la plupart des cas, élaborés en bonne concertation entre les différents acteurs et les décisions se sont imposées d’elles-mêmes.
Ces décisions inédites de déprogrammations soulèvent de nombreuses questions tant éthiques que juridiques pour les établissements et les praticiens qui y exercent. Parmi celles-ci il y a les responsabilités encourues en cas de dommage subi par un patient dont l’acte a été déprogrammé.
Il faut rester très prudent quand il n’existe pas encore de jurisprudence spécifique sur le sujet, mais nous disposons à la fois d’un régime spécifique de responsabilité et des principes juridiques habituels de la responsabilité médicale.
- Le régime spécifique est issu de l’article L.3131-4 CSP qui prévoit « Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22 ».
Ainsi, la personne s’estimant victime de la déprogrammation de son acte pourrait demander réparation de son préjudice à l’ONIAM, à charge pour elle de prouver que cette déprogrammation est bien une mesure qui a été prise dans le cadre de l’article L.3131-1 CSP pour faire face à la menace sanitaire.
- Ensuite nous avons le fondement de la responsabilité médicale qui est l’obligation de moyens et non de résultat qui pèse sur les praticiens. Ceci signifie que les médecins ont l’obligation de mettre en œuvre les moyens disponibles pour soigner leurs patients et non pas de mettre en œuvre tous les soins existants en théorie. Cela est issu de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique (CSP) qui dispose que la responsabilité des médecins n’est engagée qu’en cas de faute, celle-ci devant par ailleurs être à l’origine du dommage dont il est demandé réparation. Ainsi, il semble difficile de reprocher à un praticien d’appliquer la déprogrammation décidée au plan national ou régional. Par contre, le choix des patients à déprogrammer par rapport à ceux dont l’acte sera maintenu relève de l’équipe médicale et devrait être basé sur des critères scientifiques pour éviter toute subjectivité ou caractère contestable. Mais ce n’est pas la première fois que les médecins doivent faire ce type de choix et c’est par exemple le cas pour les régulateurs de centre 15 quand il ne reste plus qu’un véhicule de secours disponible.
- Le principe de la déprogrammation des actes a été imposé aux praticiens qui, au contraire avaient bien l’intention initiale de les réaliser, si bien que ces reports ou annulations ne sont pas de leur fait et ne devraient pas engager leur responsabilité. Ainsi la pandémie et ses conséquences sur la réalisation des soins constitue pour les praticiens un cas de force majeure qu’ils pourraient invoquer pour demander une exonération de responsabilité.
- D’autre part, il y a l’obligation d’information dont les contours sont définis par l’article L. 1111-2 CSP qui stipule : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ». Ceci implique que le patient sache que son état de santé nécessite un acte invasif, connaisse le délai dont on dispose pour le réaliser afin qu’il procure le bénéfice escompté et soit informé de l’existence d’alternatives thérapeutiques (même moins performantes) à l’acte invasif et qui seraient réalisables plus rapidement (exemple : coloscan vs coloscopie). Il faut ajouter à cela l’information sur la surveillance renforcée à réaliser en cas de report de l’acte, voire le besoin d’un traitement particulier pendant cette période.
- Le patient qui souhaite engager la responsabilité d’un praticien du fait du report de l’acte programmé dont il devait bénéficier devra, de plus, prouver qu’il a subi un préjudice spécifique. Ce préjudice doit être direct, actuel et certain et non pas simplement hypothétique et indépendant de la pathologie initiale.
Certes, le patient pourra invoquer la notion de perte de chance pour en réclamer l’indemnisation, mais la jurisprudence exige qu’il soit démontré que cette chance de guérison était bien réelle. En effet, il ne suffit pas de l’invoquer pour qu’ipso facto elle existe. La situation sera différente selon que l’acte a été reporté ou totalement annulé. En cas de report (par exemple pour une chirurgie), le patient devra démontrer que son état consolidé aurait été meilleur s’il avait été opéré à la date initialement prévue. Cette démonstration, si elle apparait difficile, n’en est pas moins dans certains cas possible, par exemple si les examens préopératoires ont montré une aggravation de la situation par rapport à ceux réalisés avant l’intervention initialement prévue. En cas de renoncement à l’acte envisagé (par exemple coloscopie de contrôle), cette preuve serait plus facile à apporter s’il est découvert lors de l’acte suivant une pathologie très évoluée, mais encore eu t’il fallut que le diagnostic ait été fait si l’examen avait été réalisé.
Voici quelques articles du code de déontologie médicale dont l’application peut se révéler délicate en cas de déprogrammation :
Ces textes formulent un niveau d’exigence particulièrement élevé sur les médecins qui doivent en tout premier lieu agir dans l’intérêt de leurs patients, même si les considérations de santé publique doivent être également prises en compte. Il leur est demandé de se dévouer pour leurs patients et de rester indépendant pour pouvoir prioriser l’intérêt de leurs patients. D’autre part, ils doivent mettre en œuvre les techniques (dont les actes invasifs) que l’état de la science commande et ne pas faire courir de risque injustifié à leurs patients. Les décisions de déprogrammation pourraient bien heurter ces principes déontologiques.
Néanmoins, l’article R. 4127-12 CSP dispose que « Le médecin doit apporter son concours à l'action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l'éducation sanitaire. Il participe aux actions de vigilance sanitaire (…) ». Celui-ci demande ainsi aux médecins de mettre en œuvre la politique de santé publique afin de protéger, de manière plus globale, la population. Ainsi, les consignes de santé publique demandant des déprogrammations constitueraient une sorte de « justification » aux entorses faites à la priorité qui doit être donnée à l’intérêt des patients.
Une lecture pluridisciplinaire est souvent très éclairante et il est difficile de rester seul face à ces choix qui peuvent êtres lourds de conséquence, tant pour le patient que pour les praticiens. En termes de responsabilité, la collégialité serait bien perçue car il ne s’agirait plus de la décision d’un praticien isolé sur ses propres critères mais d’une concertation entre les différents membres de l’équipe, qui, d’autre part, l’acceptera ainsi beaucoup mieux.
Celle-ci devrait être faite par le praticien devant réaliser l’acte (et non par le secrétariat qui le fera de manière très administrative) et avec toute la pédagogie nécessaire. Ce sera le moment d’expliquer les raisons de la déprogrammation (ou de l’annulation) et surtout les conséquences prévisibles de celle-ci. Il s’agit ici de rassurer le patient qui sera nécessairement inquiet puisque l’acte en question lui avait été présenté comme important voire nécessaire. Lui indiquer aussi qu’en cas de nécessité l’acte pourra être réalisé rapidement sera également rassurant. Mais, par exemple, l’annulation pure et simple d’une coloscopie de contrôle risque d’être compliquée à annoncer et justifier.
afin qu’il connaisse les éléments à surveiller pendant la période d’attente de réalisation de l’acte déprogrammé. Prescrire les actes de surveillance nécessaires (biologie, imagerie) afin de déceler une éventuelle aggravation de la pathologie et d’intervenir à temps.
C’est en effet celui-ci qui est susceptible de revoir le plus souvent le patient et de donner l’alerte en cas d’évolution défavorable. Il pourra aussi faire œuvre de pédagogie auprès du patient afin qu’il ne se décourage pas face aux promesses non tenues.
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