Affaire #1 : une patiente déplacée après une chute
Une infirmière libérale prend en charge une patiente de 94 ans, à raison de deux passages quotidiens à domicile.
Alors qu’elle est seule entre les deux passages, la patiente entreprend de se changer et tombe au sol. Le déclenchement de son alarme alerte une voisine qui prévient l’infirmière. Cette dernière repasse au domicile et fait appel aux secours qui envoient une ambulance.
Lorsque les ambulanciers se présentent, ils constatent que l’infirmière tente de faire se lever la patiente de la chaise sur laquelle elle a été installée, alors qu’il existe une suspicion de fracture du col du fémur, la jambe gauche étant en rotation externe.
La patiente est emmenée à l’hôpital, où elle décèdera deux jours plus tard.
Affaire #2 : un patient victime d’un malaise et laissé seul
Une infirmière libérale prend en charge à domicile un patient âgé atteint d’un cancer. La prescription médicale vise la surveillance des constantes vitales et les effets indésirables du traitement, les soins quotidiens d’hygiène étant assurés par la famille.
Lors de son passage quotidien, l’infirmière découvre le patient dans son lit, inconscient, dans des draps souillés. Une fois réveillé, il explique se sentir très faible mais ne pas avoir chuté. Renonçant à déplacer le patient et à nettoyer ses draps, l’infirmière lui nettoie le visage et le place en position latérale de sécurité.
Elle passe un coup de téléphone au fils du patient et laisse un message sur sa messagerie, invitant à passer au domicile de façon urgente. Elle appelle également le médecin traitant, et laisse pareillement un message. Puis elle poursuit sa tournée dans le même immeuble, auprès d’un autre patient.
Dans les suites, le médecin traitant déclenche l’intervention du centre 15. Le patient est hospitalisé mais il décède une semaine plus tard.
Dans les deux affaires : une sanction pour manquement au devoir d’assistance
Dans la première affaire : une interdiction d’exercice de 15 jours avec sursis
La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre rappelle l’article R4312-7 du code de la santé publique selon lequel :
"L'infirmier en présence d'un malade ou d'un blessé en péril, ou informé qu'un malade ou un blessé est en péril, lui porte assistance, ou s'assure qu'il reçoit les soins nécessaires".
En ne plaçant pas la patiente en position latérale de sécurité dans l’attente des secours et, au contraire, en cherchant à la lever alors qu’il existait une suspicion, dont elle était consciente, de fracture du col du fémur, l’infirmière a manqué à cette obligation d’assistance.
La sanction infligée est importante : une interdiction d’exercice de 15 jours, avec sursis. Elle s’explique par le fait que l’infirmière ne semble pas avoir pris la mesure de son geste.
Dans la seconde affaire : un avertissement
La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre reconnaît qu’après la découverte du patient, l’infirmière a fait ce qu’il lui était possible de faire - notamment le placement en position latérale de sécurité - compte tenu des difficultés pour le manipuler en raison de sa corpulence. Ceci d’autant plus qu’elle savait qu’il recevait régulièrement la visite de sa famille, chargée des soins quotidiens.
Comme dans la première affaire, la chambre disciplinaire invoque cependant l’article R4312-7 du code de la santé publique, ainsi que l’article R4312-43 selon lequel :
"En cas d'urgence et en dehors de la mise en œuvre d'un protocole, l'infirmier décide des gestes à pratiquer en attendant que puisse intervenir un médecin. Il prend toute mesure en son pouvoir afin de diriger la personne vers la structure de soins la plus appropriée à son état".
En l’espèce, l’infirmière, bien qu’ayant eu conscience d’une situation périlleuse impliquant une réaction urgente, n’est pas allée jusqu’au bout de ses convictions. N’ayant pu joindre directement le médecin traitant, elle a manqué de discernement :
- en décidant de reporter sur le fils du patient, ni présent ni professionnel de santé, l’initiative d’appeler les secours ;
- en reprenant le cours de sa tournée.
Il lui appartenait d’appeler personnellement le 15. Un dialogue entre professionnels de santé aurait facilité la prise de décision quant à l’aide à apporter à ce patient.
Un avertissement lui est infligé.
Que retenir de ces deux dramatiques affaires ?
Dans les deux cas :
- une sanction disciplinaire a été prononcée pour ne pas avoir géré correctement une situation qui constituait, dans ces circonstances particulières, un péril : patients âgés, voire très âgés, état général dégradé, notion de chute et/ou de malaise ;
- l’infirmière avait conscience de la gravité de la situation ;
- l’infirmière ne prenait aucun risque pour elle-même à agir de façon plus engagée ;
- l’infirmière a partiellement satisfait à son obligation de porter secours (dans un cas, elle a appelé les secours et est restée au domicile en attendant qu’ils arrivent, dans l’autre cas, elle a quitté le domicile mais a prévenu le médecin traitant), mais sans aller "au bout" du processus.
Nos conseils
Ces deux affaires nous fournissent l’occasion de rappeler quelques conseils pour limiter au maximum les risques d’engager votre responsabilité dans de telles situations.
- L’assistance à personne en péril est une obligation, pénalement sanctionnée, qui s’impose à tout citoyen. Cette obligation est renforcée pour les professionnels de santé, qu’on considère plus aptes à agir qu’une personne lambda. En situation de péril, dont vous avez conscience, il est indispensable d’agir. Toute inaction pourra vous être reprochée.
- Cette action peut consister à alerter les secours pour assurer la prise en charge la plus adaptée. Mais attention, appeler les secours ne vous dispense pas, selon les situations, de :
rester auprès du patient le temps qu’ils interviennent,
assurer des soins immédiats dans les limites de vos compétences (placement en PLS par exemple),
prévenir d’autres intervenants (par exemple la famille),
si vous avez quitté les lieux, vous assurer que les secours ont bien pris le patient en charge.
- Lorsque vous trouvez un patient au sol après une chute, une évaluation de son état général s’impose avant de décider de tout mouvement tels que le relever, le placer en PLS ou même seulement le faire asseoir. En effet, certains mouvements peuvent aggraver la situation, notamment en cas de douleurs au cou ou au dos. Il est également important d’essayer de déterminer si la chute est la conséquence d’un malaise.
- Lorsque le patient est de forte corpulence, ne préjugez pas de vos forces et ne tentez pas de le relever à tout prix. Dans l’une des deux affaires commentées, aucun reproche n’a été fait à l’infirmière qui a fait le choix de ne pas sortir le patient du lit, bien que souillé, car elle n’en aurait pas été physiquement capable.
- N’oubliez pas de consigner dans le dossier médical la survenue d’une situation de ce type au domicile, ainsi que les mesures que vous avez prises sur place.