Un "peau à peau" aux conséquences dramatiques
En 2012, une femme accouche dans un centre hospitalier universitaire d'une petite fille en parfaite santé, à 21h38.
À 21h50, l'enfant est installée sur la poitrine de sa mère en peau à peau. Le dossier médical mentionne une intervention de l'équipe à 22h30 pour passer le nouveau-né du sein droit au sein gauche.
Ce n'est qu'à 22h50 qu'il est constaté un état de cyanose, d’hypotonie majeure et de bradycardie, sans mouvement respiratoire. L'enfant est réanimée mais conserve de très lourdes séquelles, à type d'infirmité motrice cérébrale.
Les parents mettent en cause la responsabilité de l'établissement hospitalier. Ils lui reprochent d'avoir laissé mère et enfant sans surveillance lors du peau à peau, pendant une heure, et de ne pas les avoir alertés sur les signes anormaux susceptibles de survenir pendant cette période.
Ils saisissent d’abord la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI). Celle-ci rend un avis en 2023 retenant un défaut de surveillance de la part du centre hospitalier, à l'origine d'une perte de chance de 70% d'éviter le dommage.
Les parents déposent une requête devant le tribunal administratif pour obtenir l’indemnisation de l’intégralité du préjudice de leur fille.
Dans son jugement du 30 avril 2025, le tribunal administratif prononce un partage de responsabilité :
- Centre hospitalier : 15% du dommage pour la perte de chance résultant de l’absence de consignes données aux parents pendant le peau à peau.
- ONIAM : 75% au titre d’un accident médical non fautif relevant de la solidarité nationale.
Pas de défaut de surveillance
La Haute autorité de santé (HAS) a publié en 2018 des recommandations pour la prise en charge immédiate du nouveau-né à terme dans un contexte de liquide amniotique clair (ce qui était le cas de l'enfant en l'espèce).
Accéder à la Fiche mémo de la HAS
Ces recommandations évoquent la nécessité de surveiller la mère et l'enfant attentivement pendant les deux premières heures qui suivent la naissance, toutes les 15 minutes la première heure. Une traçabilité doit être assurée dans le dossier médical.
Le tribunal relève cependant que ces recommandations ne sont pas applicables, car postérieures de 6 ans aux faits. Il se réfère donc aux recommandations communément admises au moment de la naissance. Celles-ci évoquent une surveillance régulière de la part de l'équipe médicale du bon positionnement de l'enfant, le cas échéant avec la pose d'un saturomètre, afin de libérer au maximum la face et en particulier les narines. Il était également recommandé de ne pas laisser la mère et l'enfant seuls.
Le tribunal retient que l'ensemble de ces recommandations semble avoir été respecté par le centre hospitalier : un passage a bien eu lieu et a été tracé au dossier, bien que les parents soutiennent – sans le prouver - que cette traçabilité n'a été assurée qu'après coup.
Un défaut d'information mais sans perte de chance associée
Le tribunal relève que les parents n'ont pas été informés des risques de malaise anoxique (de l’ordre de 1 cas sur 65 000) associés à la pratique du peau à peau.
Cependant, ce défaut d’information ne donne lieu à aucune perte de chance : même informés du risque, dans la mesure où le peau à peau est une pratique extrêmement courante en salle de naissance et même recommandée, les parents n’y auraient pas renoncé. Le tribunal relève d’ailleurs qu’eux-mêmes font uniquement valoir que, correctement informés, ils auraient juste été plus vigilants quant à l'état d'éveil de leur fille.
Une absence de consignes à l'origine d'une perte de chance
Compte tenu de la vulnérabilité du nouveau-né et de la mère dans les suites immédiates de l'accouchement et du risque que peut présenter la pratique du peau à peau, il est indispensable de donner aux parents des consignes précises pour garantir leur vigilance constante sur l'état de santé de leur enfant.
En l'occurrence, le tribunal relève que l'établissement n'a donné aucune consigne particulière aux parents. Le fait qu'ils aient déjà eu auparavant trois enfants est sans incidence.
Cette absence de consignes, à distinguer du défaut d'information, constitue une faute médicale et est à l'origine d'une perte de chance que le tribunal évalue à 15%.
Une prise en charge par l'ONIAM au titre de l'aléa
Les 85% restants sont mis à la charge de l'ONIAM au titre d'un accident médical non fautif.
L’ONIAM avait contesté son intervention en invoquant le fait que la pratique du peau à peau ne pouvait pas être regardée comme un acte de diagnostic, de prévention ou de soins susceptible d'ouvrir droit à indemnisation par la solidarité nationale.
Cet argument est balayé par le tribunal administratif. Il estime que les conditions requises par les textes sont ici réunies :
- Le dommage doit résulter directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins : c’est bien le cas puisque l'objet du peau à peau est de favoriser le lien mère-enfant ou père-enfant dans les premières vingt-quatre heures de la vie, tout en assurant la régulation de la température de l'enfant, de sa glycémie, l'optimisation de l'établissement de comportements adaptés de la mère et de l'enfant et l'amélioration de l'allaitement maternel. Il peut donc être regardé comme un acte de prévention susceptible d'ouvrir droit à une réparation au titre de la solidarité nationale, même en l’absence de finalité thérapeutique proprement dite.
- Le dommage doit présenter un caractère d’anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état. Cette condition doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement : l’enfant étant en l’espèce en parfaite santé à sa naissance, avec notamment un score d'APGAR à 10 dès les premières minutes de vie, la pratique du peau à peau a entraîné des conséquences notablement plus graves qu'en l'absence de cette pratique.
- Enfin, la gravité du dommage est établie puisque l’enfant souffre d’une paralysie cérébrale avec diplégie spastique entraînant des troubles particulièrement graves dans les conditions d’existence.
Que retenir de cette affaire ?
La pratique du peau à peau a des bénéfices indéniables, tant pour les parents que pour l’enfant.
Dans un faible nombre de cas, il peut cependant être à l'origine de malaises avec arrêt cardio-respiratoire, même si l'étiologie précise de ces malaises n'est pas toujours connue.
Dans son outil d'amélioration des pratiques professionnelles fondées sur l'analyse des événements indésirables graves associés aux soins survenus chez les nouveau-nés, la HAS fait d'ailleurs référence à la technique du peau à peau.
Elle souligne la nécessité d'améliorer la formation des parents et la surveillance des nouveau-nés pour éviter les risques d'étouffement et recommande la mise en place de protocoles détaillant les modalités d'installation, de surveillance et d'information des parents.
Il est donc indispensable :
- d'informer les parents sur les risques, même s'il est très vraisemblable que cela n'aura pas d'incidence sur leur choix de recourir au peau à peau dans la majorité des cas ;
- d’assortir cette pratique de consignes très précises sur les signes qui doivent alerter les parents et imposer l'arrêt du peau à peau ;
- d’assurer une surveillance régulière, notamment quant au positionnement correct de l’enfant ;
- de bien penser à consigner au dossier les informations et consignes données aux parents.
La décision du tribunal administratif est susceptible d’appel. On ignore si un tel appel a été formé.

