Une extraction de dents de sagesse à partir d'un panoramique dentaire de piètre qualité
Une jeune fille de 16 ans consulte son chirurgien-dentiste à la fin de son traitement orthodontique pour une visite de contrôle et évaluation des dents de sagesse.
Le chirurgien-dentiste pratique une radio panoramique et oriente sa patiente vers un confrère spécialisé en chirurgie pour l’extraction des dents de sagesse. Il imprime la radio panoramique sur une feuille de papier et la donne à sa patiente, accompagnée d’un courrier d’adressage pour le confrère qui stipule uniquement "avulsion des 4 dents de sagesse", sans l’alerter sur l’image radio claire située en distal de la dent 38.
Le confrère spécialiste reçoit la patiente en consultation et planifie l’extraction 3 semaines plus tard. Il se satisfait de la piètre qualité du cliché qui lui est transmis, ne demande pas à avoir la version originale numérique.
Les avulsions sont pratiquées, les suites opératoires sont normales.
Des douleurs apparues deux ans après l'extraction
Deux ans plus tard, la patiente consulte de nouveau son chirurgien-dentiste pour des douleurs modérées en arrière de la dent 37. Il diagnostique à l’examen clinique une poche parodontale en distal de 37 et décide de pratiquer un surfaçage. Lors de l’intervention, il constate l’écoulement d’un liquide citrin. L’intervention est stoppée, une radio panoramique est réalisée, qui met en évidence une image kystique évocatrice d’un améloblastome.
Après 2 ans
La patiente est adressée à un service de chirurgie maxillo-faciale. Une exérèse chirurgicale est pratiquée et une surveillance radiologique mise en place pendant 3 ans pour contrôle de la cicatrisation.
Radio de contrôle à 3 ans après intervention d'exérèse
La patiente estime que les praticiens qui l’on prise en charge ont commis un manquement et demande réparation. Elle entreprend une procédure judiciaire civile. Une expertise médicale est ordonnée.
La responsabilité des deux praticiens est retenue
L’expert judiciaire valide l’indication des actes mais retient la responsabilité des deux praticiens.
Son analyse révèle une lecture ni attentive, ni diligente de l’examen de la radio panoramique de la part des deux praticiens :
- le premier aurait dû attirer l’attention de la patiente et de son correspondant sur l’image radiologique ;
- le second n’a pas mis en évidence la lésion à deux reprises, tout d’abord lors de la consultation puis lors de l’intervention.
Le diagnostic certain ne pouvait être posé qu’après exérèse et analyse anatomo-pathologique. Le retard de diagnostic aura eu pour conséquences une prise en charge retardée, une intervention plus lourde, une cicatrisation plus longue et donc un déficit fonctionnel de plus longue durée.
L’expert conclut que la responsabilité civile professionnelle des deux praticiens sera retenue et partagée à hauteur de 30% pour le premier et de 70% pour le second.
Rappelons les bonnes pratiques en matière de radiographie panoramique
Afin de ne pas engager votre responsabilité civile, voici quelques conseils :
Respecter les indications des radios panoramiques rappelées par l’ASN en 2021 afin de limiter les expositions inutiles aux rayonnements selon le principe ALARA ("as low as resonably achievable"). |
Informer, conseiller les patients sur ce que la radio permet d’objectiver. L’information peut être donnée par tous moyens. Ne pas hésiter à noter dans le dossier médical du patient ce qui aura été constaté sur le cliché. Encore mieux : faire un compte rendu. |
Respecter l’obligation de moyens en pratiquant des clichés exploitables, en demandant de faire pratiquer des examens complémentaires au moindre doute (rétros alvéolaires, CBCT...) et, si besoin, orienter vers des confrères spécialisés. |
Pratiquer une lecture attentive des clichés dans leur intégralité. Une lecture des clichés 2.0La révolution de l’intelligence artificielle nous permet aujourd’hui une évolution, grâce à l’analyse de clichés panoramiques par IA, qui aidera notre interprétation. Mais cette évolution pose de nouvelles questions sur la responsabilité aussi bien médicale (qui est responsable l’IA ou le praticien ?) qu’administrative (avec le RGPD quand l’analyse est faite en ligne). L’IA est à ce jour un nouvel outil permettant d’aider le praticien d’un point de vue médical et ne doit pas se limiter à un outil de communication. Un exemple d’image d’un logiciel : des "box" encadrent les résultats. |
Et n’oublions pas que le chirurgien-dentiste est aussi responsable de la radioprotection au sein du cabinet dentaire et en la matière, la règlementation concerne :
|
La radio panoramique est un acte courant dans notre pratique. Bien que banale, elle n’est pas sans conséquences.
Bien évidemment, ces principes s’appliquent à tout autre examen radiographique pratiqué dans nos cabinets dentaires (rétro alvéolaires, cône beam…).