Une arthrodèse lombaire aux suites d’abord simples…
Il s’agit d’un homme de 50 ans, ingénieur, pratiquant régulièrement le vélo et le tennis, avec comme principal antécédent une maladie de Horton sous corticoïdes à 20mg/jour.
Il consulte notre sociétaire pour une lombo-sciatique depuis deux ans, secondaire à un spondylolisthésis L4-L5.
Deux infiltrations ont déjà été réalisées ainsi qu’une prise en charge rééducative en centre spécialisé. Cet homme prend des antalgiques de palier II au long cours.
L’examen neurologique ne révèle pas d’anomalie. Il est retenu une indication d’arthrodèse postérieure.
Un délai de réflexion est laissé au patient.
Un mois plus tard, le chirurgien est reconsulté. Le patient est décidé à se faire opérer.
- Une information exhaustive sur les alternatives thérapeutiques, les techniques opératoires (arthrodèse postérieure vs arthrodèse par voie antérieure) est délivrée.
- Un livret d’information est remis au patient avec une traçabilité de sa délivrance.
- Un consentement éclairé exhaustif est signé.
- Un courrier qui récapitule l’ensemble de cette seconde consultation est adressé au médecin traitant, avec double remis au patient.
L’intervention se déroule sans incident, encadrée par une antibioprophylaxie par céfazoline 2g 30 minutes avant l’injection.
Le contrôle radiologique postopératoire montre une arthrodèse de qualité en place.
Le patient regagne son domicile.
Des complications infectieuses puis tendineuses
Le patient appelle le chirurgien en urgence trois semaines plus tard devant un écoulement cicatriciel.
Le praticien réintervient sans délai, avec un nettoyage chirurgical maximaliste et des prélèvements peropératoires qui reviendront tous positifs à staphylocoque aureus méti-sensible.
Un avis téléphonique est pris au CRIOA, qui recommande un traitement par Tavanic® et Rifampicine®.
Le patient regagne son domicile au 5e jour avec cette bithérapie.
Le chirurgien l’informe des signes d’alarme de réveil infectieux et lui remet la surveillance biologique en rapport avec l’antibiothérapie, qu’il doit lui transmettre par mail. Un rendez-vous est donné à J45.
Le patient se présente comme prévu à cette consultation de contrôle. La cicatrice lombaire est calme. Il existe quelques lombalgies non inquiétantes.
La CRP est à 2 et les radiographies satisfaisantes.
Cet homme est globalement satisfait de sa récupération fonctionnelle au niveau du rachis mais se plaint de ses épaules, devenues hyperalgiques.
Une IRM est donc prescrite.
Celle-ci révèlera une rupture du sus-épineux droit et une tendinite du sus-épineux gauche.
Il sera finalement retenu le diagnostic de rupture du sus-épineux droit et de tendinite du sus-épineux gauche, imputables au traitement par fluoroquinolone.
Six mois plus tard, le patient se fera opérer de sa rupture du sus-épineux droit avec un bon résultat fonctionnel. La tendinite du sus-épineux gauche évoluera in fine favorablement.
Une perte de chance pour défaut d’information sur les effets secondaires graves des antibiotiques
L’expert valide l’indication opératoire.
Il félicite le chirurgien pour l’information exhaustive, tant sur les alternatives thérapeutiques que sur les risques inhérents à la chirurgie.
Il considère qu’il s’agit d’une infection du site opératoire d’origine nosocomiale, sans faute.
L’expert valide la prise en charge chirurgicale de cette infection et la qualifie d’excellente. Mais il critique la prescription non judicieuse du Tavanic® chez un patient sous corticoïdes : cette molécule doit être évitée chaque fois que possible pour prévenir les tendinopathies iatrogènes chez les patients sous corticoïdes.
Pour se défendre, le chirurgien souligne qu’un avis infectiologique avait été pris auprès du CRIOA. Ce à quoi l’expert rétorque que cette prise d’avis a été une très bonne chose mais qu’il n’y a aucune traçabilité quant aux informations délivrées au CRIOA, en particulier concernant la prise au long cours d’une corticothérapie.
Par ailleurs, l’expert retient un défaut d’information de la part du chirurgien sur les possibles effets secondaires graves des antibiotiques, dont la tendinopathie aux fluoroquinolones
Il conclut que ces manquements sont responsables d’une perte de chance de 20%.
Les leçons à tirer
- Lorsqu’il y a expertise, les traces écrites jouent toujours un rôle probatoire important. Tracer un échange téléphonique sur les observations médicales apparait judicieux, cependant les experts ne peuvent légitimement pas avoir connaissance du contenu précis de la conversation. Pour éviter un travail laborieux de retranscription des échanges téléphoniques, des échanges par mail paraissent préférables pour apporter une preuve en cas d’expertise.
- Parce que nous, chirurgiens, sommes aussi médecins, nous sommes responsables de nos prescriptions. L’information ne doit donc pas se limiter à celle en rapport avec des risques opératoires mais doit aussi porter sur les prescriptions que nous délivrons. La délivrance d’une information au sujet des effets secondaires des antibiotiques doit être présente dans nos observations.
- Enfin, bien que nos consultations soient extrêmement surchargées, un suivi plus rapproché que le "conventionnel" J45 au décours de la prise en charge d’une complication, quelle qu’elle soit, permet une sécurisation optimale de la prise en charge du patient et une gestion des plus réactives en cas d’événement indésirable.