Un équilibre fragile, un diagnostic de facilité…
En août, une patiente de 36 ans, aide à domicile, traitée pour une schizophrénie depuis 18 ans et ayant accouché un mois plus tôt de son deuxième enfant, est hospitalisée en service spécialisé pour une décompensation psychotique. Une semaine après son admission, elle se plaint de vertiges et de troubles de l’équilibre, symptomatologie ayant débuté selon elle 15 jours plus tôt.
Une longue hospitalisation
Lors de cette hospitalisation qui va durer plus d’un mois, pas moins de trois médecins somaticiens, dont un neurologue, viennent successivement l’examiner. Ils constatent que la marche est effectivement "précautionneuse", la patiente ayant constamment peur de chuter mais aussi que l’examen neurologique est normal. L’avis d’un pharmacopsychiatre est même pris, la patiente se plaignant alors en sus de sensations de "mains gantées" associées à des "dyskinésies faciales" et d’une "protusion de la langue". Les traitements sont alors réadaptés, leur posologie revue à la baisse, une kinésithérapie préconisée.
Mais les troubles de l’équilibre et le risque permanent de chute persistent tout au long de l’hospitalisation. Il est d’ailleurs noté à plusieurs reprises par l’équipe soignante que la patiente a même du mal à conduire droit sa poussette, percutant souvent murs ou trottoirs.
L’évolution étant cependant favorable sur le plan psychiatrique, elle retourne à domicile en octobre avec une prise en charge en HAD.
Une instabilité qui s’aggrave au fil des mois
Mais quelques jours plus tard, elle est emmenée par les pompiers aux urgences d’un autre centre hospitalier au décours de 3 chutes itératives le même jour, en allant puis en revenant de la crèche. La dernière chute a eu lieu devant les pompiers qui évoquent même que la patiente l’a simulée… Deux plaies occipitales sont suturées, il n’y a pas eu de perte de connaissance, la patiente est déclarée sortante.
Elle consulte ensuite à plusieurs reprises son généraliste qui s’en tient au diagnostic posé d’anorganicité, réitéré par le psychiatre traitant également consulté dans l’intervalle.
En novembre, la patiente, qui n’a plus chuté, ne peut cependant marcher qu’avec une canne pour ne pas perdre l’équilibre. Sa mère, très inquiète, obtient un rendez-vous avec un neurologue, qui impute à son tour ses troubles à l’augmentation transitoire des traitements psychiatriques. C’est ce qui expliquerait que depuis la diminution de leur posologie, la patiente ne soit pas retombée. Il n’est noté qu’un discret élargissement du polygone de sustentation, et simplement conseillé de reconsulter en cas de modification du tableau.
Et effectivement, la patiente ne tombe plus (ou ne le dit plus) mais continue à présenter des troubles de l’équilibre.
Une conclusion dramatique
En mars de l’année suivante, en pleine nuit, elle se plaint de céphalées et de vomissements. Les pompiers sont appelés puis le SAMU en renfort pour un arrêt cardio-respiratoire. Elle est alors transférée en réanimation. L’angio-TDM met alors en évidence une hydrocéphalie aigue sur un kyste colloïde du 3e ventricule avec ischémie parenchymateuse et engagement amygdalien. Un avis neurochirurgical est pris. Un drain est posé mais la patiente décède quelques heures après.
Une procédure CCI est engagée par la famille.
Iatrogénicité médicamenteuse : un diagnostic à poser avec prudence
Comme attendu, les experts missionnés dédouanent le généraliste, finalement très peu consulté durant cette période et souvent pour des motifs sans rapport avec le problème neurologique. D’autant que lors de ces consultations, il était noté une amélioration des symptômes fonctionnels, dont il ne sera pas contesté par la famille qu’ils avaient été fluctuants.
De même, ils écartent la responsabilité du neurologue qui, au moment de sa consultation, ne disposait d’aucun compte rendu d’hospitalisation. Par ailleurs, la patiente disait alors avoir moins de trouble de l’équilibre depuis l’adaptation de ses traitements et il lui avait proposé de le reconsulter en cas de besoin.
La responsabilité du service des urgences ne sera pas davantage retenue, la notion d’une chute (ayant certes occasionné un traumatisme crânien) ne justifiant pas la demande d’une imagerie cérébrale en l’absence de signes et facteurs de risques associés.
En revanche, les experts retiennent la responsabilité du centre hospitalier où la patiente était habituellement suivie et celle du centre hospitalier ayant assuré l’HAD. Ils estimeront que si l’analyse du tableau neurologique était effectivement complexe dans le cas présent et le diagnostic difficile, une imagerie cérébrale aurait dû être demandée en raison de :
- l’apparition des vertiges et troubles de l’équilibre, alors même que les traitements habituellement pris n’avaient pas encore été modifiés ;
- leur persistance au décours ;
- la survenue de chutes non expliquées de façon certaine par le syndrome extrapyramidal lié au traitement neuroleptique.
Compte tenu du caractère curable de la pathologie si le diagnostic en avait été fait quelques mois plus tôt, ils évaluent la perte de chance d’éviter le décès à 75%.
Ces conclusions seront intégralement reprises par la CCI.
Que retenir dans cette affaire ?
Dans le cas présent, à la différence d’autres affaires que nous avons eu à traiter, l’avis de plusieurs médecins "somaticiens" (dont plusieurs spécialistes) a été rapidement pris. Il n’y a eu aucun doute sur la réalité de l’examen clinique fait qui, à chaque fois, était parfaitement rapporté dans le dossier médical.
Toutefois, comme l’ont rappelé les experts, les praticiens auraient dû se montrer plus rigoureux dans leur raisonnement et demander une imagerie avant de s’autoriser à conclure à une probable iatrogénicité, compte tenu :
- du caractère inhabituel des symptômes présentés par cette patiente, connue du service depuis plusieurs années et qui ne s’était jamais plainte d’autres symptômes que ceux pouvant être rattachés à sa schizophrénie ;
- de la pérennisation de ses troubles.
Le recours aux examens complémentaires reste donc primordial en psychiatrie, que ce soit pour le bilan pré-thérapeutique, le diagnostic, le suivi des traitements de la maladie psychiatrique ou pour le diagnostic différentiel d’affections somatiques intriquées.