Une consultation = un motif, pour quelles raisons ?
Même si le phénomène reste aujourd’hui limité, il fait cependant son chemin dans l’esprit d’un certain nombre de médecins. Ceux qui le pratiquent, comme ceux qui sont tentés de le faire, invoquent principalement trois motifs :
- Les difficultés d’accès aux soins : lorsque le patient consulte pour plusieurs motifs et, pire encore, lorsqu’il vient avec "une liste de courses", la durée de la consultation est allongée, ce qui peut accaparer des créneaux de consultation qui seraient utiles à d’autres patients.
- La qualité des soins : par manque de temps ou de concentration lors d’une consultation où le patient égrène des motifs différents, le praticien prend moins de temps pour chaque motif et peut dispenser des soins moins pertinents.
- La rentabilité de la consultation : certains médecins se plaignent (notamment sur les réseaux sociaux) de percevoir les mêmes honoraires, que la consultation porte sur un seul motif ou sur plusieurs.
Risque #1 : manquer à son obligation de moyens
En dehors de cas très particuliers, le médecin est tenu à une obligation de moyens : il doit mettre en œuvre tous les moyens en sa possession, sinon pour guérir le patient, du moins pour traiter ses troubles.
Au cours d’une consultation de médecine générale, il n’est évidemment pas question de procéder à un check-up complet ni de passer en revue l’état de santé global du patient. Cependant, il est aujourd’hui entendu que l’exercice de la médecine ne se borne pas à seulement identifier et traiter des symptômes isolés : l’approche globale se trouve au cœur des soins de santé primaires. Elle permet de prendre en compte, non seulement les symptômes et les troubles, mais aussi les facteurs propres à chaque patient et les liens cliniques qui peuvent exister entre plusieurs symptômes.
Poser le principe intangible d’"une consultation = un motif" peut faire passer le médecin à côté du diagnostic :
- parce qu’il a refusé de traiter un second symptôme signalé par le patient,
- parce que le patient, sachant que son médecin veut limiter la consultation à un seul motif, va renoncer à en évoquer un second, donnant la priorité au symptôme qui lui semble le plus important. Or, le malade n’est pas le mieux placé pour hiérarchiser ses troubles selon leur gravité…
- parce que le patient va reprendre un autre rendez-vous pour la prise en charge d’autres symptômes, mais avec un délai qui peut déboucher sur un retard de diagnostic et une perte de chance.
En cas de litige, l’expert, le juge ou la commission de conciliation et d’indemnisation selon les cas, examinent dans le détail la démarche diagnostique. Il n’est pas impossible, selon les situations, qu’ils concluent à un manquement fautif à l’obligation de moyens ayant conduit à l’absence ou au retard de diagnostic.
Le risque est d’autant plus élevé quand il s’agit de patients âgés ou ayant des pathologies multiples, parfois imbriquées entre elles ou interdépendantes.
Exemple : fatigue + douleurs abdominales + anxiété → pathologie organique sous-jacente.
Risque #2 : se voir reprocher un refus de soins
Si un patient évoque au cours de la consultation un second problème médical et que le médecin lui oppose une fin de non-recevoir, cette attitude pourrait-elle être considérée, en cas de litige, comme un refus de soins déguisé ? En effet, on rappellera que le refus de soins ne peut s’envisager que dans le cadre strict prévu par la loi.
Il est difficile de le savoir en l’absence de jurisprudence sur le sujet. Mais il n’est pas impossible qu’un refus de prise en compte d’une situation médicale soit considéré comme une forme de refus de soins, moins radicale qu’un refus de prise en charge mais dont les effets peuvent être semblables.
Risque #3 : renseigner incorrectement le dossier médical (et ne pas pouvoir se défendre !)
Logiquement, le praticien qui limite sa consultation à un motif unique ne va renseigner le dossier médical du patient qu’au regard de ce seul motif, qui a été pris en charge.
Qu’en sera-t-il si le patient a évoqué un autre symptôme, non pris en charge et donc non noté au dossier, et qu’il met ensuite en cause la responsabilité du médecin à raison de ce symptôme non traité ? Ce sera en principe la parole de l’un (le patient affirmant avoir évoqué un autre problème médical) contre la parole de l’autre (le médecin n’ayant renseigné son dossier que pour un seul motif médical).
Il faut garder à l’esprit que le dossier médical est un outil indispensable à la défense du praticien lorsqu’il est mis en cause. Il faut donc y être particulièrement attentif. Si le médecin a affiché sa volonté de limiter la consultation à un motif unique, la balance pourrait bien pencher en faveur du malade….
Risque #4 : se voir reprocher de pratiquer la médecine comme un commerce
Le principe selon lequel la médecine ne saurait être pratiquée comme un commerce constitue un principe essentiel d’exercice qui doit être respecté, sous peine de sanction disciplinaire.
Comme le rappelle le Conseil de l’Ordre des médecins dans ses commentaires du code de déontologie médicale, la médecine est un service. Les soins, les certificats et les ordonnances ne peuvent être regardés comme des produits "vendus" individuellement les uns des autres.
Par ailleurs, toujours selon l’Ordre, "le médecin doit s’interdire tout comportement qualifiable de mercantile, animé par la seule recherche du profit. Un tel comportement est caractérisé dès lors que le médecin fait primer son intérêt au détriment de celui du patient, ou que la recherche de cet intérêt compromet la qualité ou la sécurité des soins".
Il pourrait être reproché au médecin une dérive commerciale de son activité si :
- il renvoie systématiquement l’examen d’un second motif de consultation à un autre rendez-vous médical,
- il réclame systématiquement un dépassement d’honoraires pour examiner ce second motif,
- il facture une double consultation.
En effet, les dépassements d’honoraires ne sont autorisés que dans des conditions strictes, notamment l’existence d’une exigence particulière du patient. Une demande complexe et chronophage, portant sur plusieurs motifs, pourrait constituer une telle exigence, mais au cas par cas et non systématiquement. En toutes hypothèses, facturer une double consultation est exclu.
Là encore, il n’y a pas de jurisprudence en ce sens, le phénomène "une consultation = un motif" étant récent.
Risque #5 : aggraver les difficultés d’accès aux soins en multipliant les rendez-vous
Limiter chaque consultation à un seul motif peut avoir un effet multiplicateur sur le nombre de rendez-vous pris par chaque patient. Certains symptômes, non pris en charge dès leur apparition, peuvent également dégénérer ou rendre le traitement plus difficile ou plus long.
Les difficultés d’accès aux soins peuvent donc s’en trouver aggravées, tant pour le patient concerné lui-même que pour les autres patients. Avec à la clé une activité encore plus soutenue pour le médecin.
Nos conseils
La pratique "une consultation = un motif" reste aujourd’hui marginale. Chacun peut comprendre les préoccupations des médecins pour conserver une bonne qualité des soins et un accès équitable de tous aux créneaux de consultation. Cependant, certaines précautions s’imposent pour éviter de risquer d’engager sa responsabilité professionnelle.
Voici quelques conseils :
- Évitez de poser le principe, en toutes circonstances, d’un motif unique de consultation. Chaque situation est différente et il faut bien faire la distinction entre le patient qui arrive avec une "liste de courses", comportement clairement abusif, et celui qui présente objectivement deux problèmes médicaux distincts qui doivent être pris en charge sans retard (ou qui, associés, sont révélateurs d’une pathologie).
- Évitez de refuser purement et simplement l’examen d’un second motif, sans laisser le temps au patient de l’exposer. Le plus sage est de le laisser s’exprimer puis, le cas échéant, de lui proposer un autre rendez-vous après vous être assuré que ce second motif peut attendre.
- Privilégiez toujours le dialogue et l’information du patient. Cela permettra d’éviter qu’il perçoive votre positionnement comme un refus de soins ou une démarche militante dont il fait les frais.
- Soyez très prudent sur les dépassements d’honoraires et n’affichez jamais des propos tels que "Chaque motif supplémentaire est facturé" ou "Un seul motif par consultation, sinon dépassement" : cela serait un indice en faveur d’une marchandisation des soins.