Hébergement dans un service inadapté : une situation fréquente
La règle selon laquelle le malade doit être hospitalisé dans le service dont relève sa pathologie et non, faute de place, dans un autre service, relève du bon sens. Mais dans un contexte marqué par un manque de moyens hospitaliers, elle est bien difficile à respecter…
Ces préoccupations autour des hébergements inadaptés ne sont pas nouvelles : la circulaire DHOS/O 1 n° 2003-195 du 16 avril 2003 relative à la prise en charge des urgences l’évoquait déjà : "La prise en charge du patient en aval des services des urgences est une difficulté essentielle, qui implique fréquemment, notamment dans les établissements publics de santé, de longues recherches pour le personnel des urgences et celui des services de soins, d’importants temps d’attente pour les malades et parfois une inadéquation entre le placement et la pathologie, ce qui est défavorable à la qualité des soins et à la prise en charge du patient. (…). Dans les établissements publics de santé, un partenariat doit se formaliser par une convention entre services, afin d’organiser l’hospitalisation du patient dans un service adapté à la prise en charge de sa pathologie (…)".
Malgré de multiples tentatives pour mieux organiser les services hospitaliers et assurer une meilleure disponibilité de lits en aval des urgences, la situation ne s’est malheureusement pas améliorée.
Dans son "Flash Sécurité" publié en juillet 2025, la HAS révèle que selon une statistique de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), une personne sur dix hospitalisée après un passage aux urgences n’est pas admise dans un service adapté à son état de santé. Cette étude est ancienne puisqu’elle date de 2016 ; en dix ans, la situation ne s’est pas améliorée, et cette statistique s’est probablement aggravée.
Les risques pour les patients d’un hébergement dans un service inadapté
Il serait abusif d’affirmer que les soins sont systématiquement de moins bonne qualité quand le patient est hospitalisé dans un service qui ne correspond pas à sa pathologie. Cependant, les risques de bénéficier de soins moins adaptés et moins diligents sont majorés, pour plusieurs raisons :
- Certains troubles ou symptômes peuvent être détectés tardivement, entraînant un retard ou une absence de prise en charge adaptée. C’est le cas dans l’exemple, cité dans le "Flash Sécurité" de la HAS, d’un patient décédé des suites d’une hémorragie digestive : les soignants du service hébergeur d’urologie, insuffisamment formés aux signes de ce type d’hémorragie, n’ont pas réagi à temps.
- Les services hébergeurs ont leurs protocoles propres en fonction de la spécialité (surveillance, évaluation, prise en charge, etc.), qui ne correspondent pas aux besoins des patients lorsque ceux-ci relèvent d’un autre service.
- Même si l’équipe dont relève en principe le patient peut être consultée et est susceptible d’intervenir, le suivi peut être moins étroit et plus haché. Les échanges d’information et les transmissions entre soignants peuvent également en pâtir.
- Certaines modalités d’hospitalisation peuvent être incompatibles avec la pathologie : c’est le cas dans l’exemple, cité par la HAS, d’une adolescente présentant un syndrome dépressif, hospitalisée en pédiatrie, qui y a trouvé les moyens d’un passage à l’acte suicidaire, ce qui n’aurait pas été possible si elle avait été hospitalisée en psychiatrie.
Les risques pour les soignants d’un hébergement dans un service inadapté
Pour l’équipe soignante de la spécialité dont relève le patient
Puisque le patient n’est pas dans le service, le médecin de la structure peut être amené à se déplacer dans le service d’hébergement. Il peut également être sollicité à distance sur la situation du patient, pour un conseil ou une marche à suivre.
Dans ce cas, il peut exister plusieurs risques :
- Se contenter de donner un avis téléphonique sans se déplacer pour juger personnellement de la situation.
- Avoir une vision parcellaire de l’état de santé du patient.
- Assurer une traçabilité incomplète des soins.
Pour l’équipe soignante du service hébergeur
L’équipe du service hébergeur n’est pas spécialiste de la pathologie. Elle exerce donc une surveillance concrète – puisque le patient est dans le service - dans un domaine qui peut dépasser ses compétences.
Cette situation est évidemment délicate, puisque les codes de déontologie des professions médicales et paramédicales imposent de s’abstenir, sauf circonstances exceptionnelles, d’entreprendre ou de poursuivre des soins dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens à disposition.
Quelles responsabilités en cas de litige ?
En cas de dommage en lien direct avec l’hébergement du patient dans un service inadapté à sa pathologie, c’est surtout la responsabilité de l’établissement qui risque d’être engagée pour défaut d’organisation.
En secteur public, les praticiens du service seront en principe couverts par l’hôpital sauf hypothèse – rare – de la faute détachable du service.
Sur le plan pénal, chacun sera en revanche responsable de son propre fait. Un tribunal pourrait estimer qu’en acceptant la prise en charge de patients dans ces conditions, le professionnel de santé (du service hébergeur comme du service dont relève la pathologie) a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité pénale. Ce fut notamment le cas dans la célèbre affaire dite de l’hôpital Trousseau, dans laquelle un enfant de 17 mois, hospitalisé pour une banale gastroentérite, avait été admis dans le service de pneumologie, par manque de lits en pédiatrie. Du fait d’un manque de surveillance – il n’avait été vu par aucun médecin en 48 heures – il n’a pas bénéficié de soins adaptés et est décédé de déshydratation. Neuf membres de l’équipe médicale et, pour la première fois, l’AP-HP en qualité de personne morale, ont été condamnés pour homicide involontaire.
En matière pénale, tout sera évidemment affaire de circonstances, qui seront examinées avec attention par l’expert, puis le juge.
Comment prévenir les risques ?
Devant le nombre croissant de patients hébergés dans des services inadaptés, faute de lits disponibles, il est important de prendre certaines précautions pour limiter au maximum le risque de voir sa responsabilité engagée.
Si la situation est récurrente, il peut être utile d’attirer l’attention de la direction de l’établissement sur les risques de ce type d’hébergement. Si aucune solution ne peut être trouvée avec la direction, et en l’absence de possibilité de transfert dans un autre service ou établissement susceptible d’accueillir le patient, il faut veiller à assurer une traçabilité soigneuse : conserver au dossier médical une trace écrite des démarches effectuées permettra de se ménager une preuve en cas de réclamation ultérieure.
Dans ce genre de situation, établir une procédure spécifique peut s’avérer bien utile, comme le préconise la HAS dans son "Flash Sécurité" de juillet 2025.
Selon ces préconisations, cette procédure d’établissement doit détailler le rôle de chaque protagoniste pour assurer la sécurité des soins
Pour le service dont relève normalement le patient mais qui ne peut l’accueillir
- Évaluer précisément le patient.
- Le visiter quotidiennement.
- Assurer les prescriptions qui le concernent.
- Donner au service hébergeur toutes les informations utiles (protocoles de surveillance par exemple) et les coordonnées du médecin référent à joindre en cas de besoin.
- Veiller à organiser un transfert dans le service adapté dès que cela est possible.
Pour le service hébergeur
- Assurer la prise en charge des urgences vitales.
- Prendre les devants et solliciter le médecin référent si celui-ci n’assure pas une visite quotidienne ou ne donne pas de directives, et l’informer de tout problème concernant le patient.
- Suivre le protocole de prise en charge établi par le référent.
- Assurer une parfaite traçabilité des soins dispensés : cette traçabilité est toujours essentielle, mais elle l’est plus encore dans ces circonstances particulières.